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provenaient non point des intéressés, toujours dociles aux conseils de l’autorité et parfaitement aptes à comprendre les avantages d’un prêt gratuit, mais bien de la routine de beaucoup de fonctionnaires et des hésitations de la finance algérienne. Un certain nombre d’administrateurs se sont pourtant dévoués à cette œuvre nouvelle qui, malgré quelques fâcheux échecs, a déjà porté de bons fruits ; mais les banques n’ont guère trouvé moyen jusqu’ici de seconder le crédit mutuel indigène. Sans doute, il est trop naturel qu’elles n’ouvrent pas aussi largement leurs guichets à ces emprunteurs qu’aux Européens, dont la situation foncière et mobilière est en général beaucoup plus nette ; en effet, l’avoir d’un indigène, même riche, qui veut se soustraire à un engagement, disparait avec une merveilleuse facilité : du jour au lendemain, on apprend que ses terres ne lui ont jamais appartenu, que ses maisons sont cédées en gage, et que ses troupeaux sont vendus au voisin. Seulement, ses chefs sont en état d’empêcher de telles collusions et, dans le fait, les prêts des caisses régionales rentrent et rentreront aussi facilement que ceux des sociétés de prévoyance dans les communes mixtes bien administrées. D’ailleurs, le crédit agricole est affaire moins de sécurités matérielles que de garanties morales ; il y faut avant tout connaître son monde, chose difficile au bailleur de fonds qui accepterait le papier d’une foule de petits propriétaires musulmans, chose facile aux gens qui vivent au milieu des emprunteurs. A cet effet, on avait offert, dans un cas tout au moins, la garantie la plus forte qui soit, la solidarité illimitée entre les membres d’une mutualité indigène qui comprenait tous les propriétaires d’une contrée ; là, plus de complicité possible entre le débiteur et ses amis de la tribu, mais au contraire la surveillance incessante des sociétaires permettant de connaître exactement les facultés de chacun au moment de la discussion des demandes de fonds et d’empêcher l’évasion des ressources au détriment de la caution commune, à l’époque du règlement.

Et cependant, ce difficile effort de bonne foi et d’union n’a pu vaincre les appréhensions des capitalistes ; prêter à l’Arabe éveille trop d’idées de tracas, de retards, d’exécutions malaisées et odieuses. Hâtons-nous de dire que ces préjugés très compréhensibles n’ont rien d’absolu et qu’ils seraient bientôt dissipés, le jour où une organisation méthodique du crédit mutuel