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sous des touffes de diss ; mais tant d’embûches l’entourent, tant de mains avides et impérieuses se tendent vers lui ; et puis le musulman naît obéré ; du jour où il possède, il a quelques dettes à traîner. Arrive donc un accident quelconque, grêle, sirocco, sécheresse, froidure ou épizootie, et aussitôt notre homme perd pied ; il sollicite un voisin, un parent peut-être ; il en obtient un prêt ; de ce jour il est perdu, à moins qu’une de ces folles aubaines de la campagne algérienne, une de ces moissons éclatantes que parfois les pluies de printemps font déborder de terre, ne vienne le sauver ou plutôt retarder sa ruine... Et qu’on y songe, nous avons tablé sur une moyenne, ce qui suppose que la plus grande partie de nos fellahs se trouve dans un pire état !

Pourtant, si l’on s’en rapporte aux statistiques, le nombre des propriétaires indigènes ne diminue pas sensiblement et il représentait en ces dernières années la moitié de la population musulmane des campagnes. Mais, en tenant même ces chiffres pour exacts, il faut remarquer qu’ils comprennent sous la dénomination de propriétaires tous les membres de la famille des détenteurs de la terre. Or la population indigène ayant augmenté annuellement de 70 000 unités environ dans la dernière décade, nous devrions trouver chaque année, si le nombre des propriétaires véritables restait stationnaire, 25 à 30 000 individus de plus dans cette catégorie.

Il serait assurément prématuré de prédire la disparition de cette classe agricole qui, à l’heure actuelle, se maintient grâce à sa prodigieuse capacité de résistance aux privations ; il serait surtout injuste d’imputer sa misère à la colonisation ou même à l’accaparement des terres par les gros capitalistes indigènes. Certes, il y a eu, notamment dans la région du Chéliff, quelques faits scandaleux dans ce dernier ordre d’idées, mais qui sont heureusement rares. On manque de documens sur ces mouvemens si importans que les statistiques officielles devraient mieux suivre, mais ce que tout le monde sait, c’est que les domaines de plusieurs milliers d’hectares ne sont pas nombreux en Algérie, mais qu’en revanche les usuriers y prospèrent et y pullulent. Ce sont moins les grands vautours qu’une foule de petits rapaces qui dévorent le peuple arabe.

La grande propriété ne se généralisera plus dans l’Afrique du Nord comme elle put faire du temps de l’esclavage antique ;