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indigènes auxquels on oppose le dévouement de certains autres qui ont défendu leurs maîtres jusqu’à la mort en temps d’insurrection, presque invariablement les Algériens portent sur nos sujets le jugement suivant : « Ce sont des enfans, il faut avant tout les traiter avec justice, comme je le fais. » Sentence où il n’y a rien à reprendre, quant à la partie générale. Pris en masse, les colons, ceux surtout qui sont nés dans le pays, s’entendent bien avec les autochtones ; ils ne ressentent pas, vis-à-vis de ces bommes dont ils comprennent la langue et dont l’aspect leur est familier, la crainte qui jette parfois le paysan fraîchement débarqué en des méprises sanglantes. Ils savent les prendre et tirer parti d’eux au meilleur compte. Néanmoins, et quelle que soit la continuité et la loyauté des rapports entre Européens et indigènes, il reste toujours au cœur des premiers un reste d’appréhension vis-à-vis d’une race dominée, mais non ployée, retranchée derrière des formules absolues d’exclusion, possédée par d’obscures hantises de violences, d’hécatombes au vrai Dieu. Ainsi s’expliquent les émois soudains, les paniques même qui traversent à certaines heures la population européenne : il est d’ailleurs parfaitement conforme à notre tempérament colonial de passer d’une insouciance téméraire à des perplexités exagérées.

Nos sujets se rendent très bien compte de ce qui s’agite dans l’âme du conquérant et ils en tirent certainement vanité, ils ont le sentiment très net de la force qu’ils possèdent sur leur vieux sol, et une ferme croyance dans la grandeur de leur race qui a fait si longtemps reculer les princes chrétiens ; ils n’ont aucunement l’admiration et le respect que le nègre, fùt-il musulman, a souvent pour l’homme d’Europe ; ils peuvent bien, quand on leur explique une invention nouvelle, s’incliner gravement en répétant que « les Français ont bonne tête, » mais le moment d’après, ils parleront avec dégoût de ces buveurs d’alcool qui ne font pas d’ablutions et qui laissent voir leurs femmes. Il y a beaucoup à apprendre en observant l’air de convoitise méprisante avec lequel ils regardent les Européennes.

Cette mésestime peu dissimulée, cette ironie même à l’égard de la race dite supérieure est certainement pour quelque chose dans l’éloignement qu’on voit à l’égard des indigènes, même dans les milieux algériens qui ne sont pas en compétition ni en fréquentation avec eux. Quant aux colons, ils ne sont pas en