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par la connaissance du danger. Et les jeunes filles, même sans la surveillance exclusive et taquine d’autrefois, se préserveront fort bien, comme en Angleterre, comme aux États-Unis d’Amérique : d’autant mieux que simultanément, les façons des jeunes gens, vis-à-vis d’elles, se modifieront… Déjà nos garçons, disciplinés aux sports, familiarisés avec la société des jeunes filles, ne sont plus tout pareils à ceux de ma génération, ni même à ceux de la génération de votre mari, ma jolie nièce… La préoccupation de galanterie est certainement, chez eux, moins obsédante ; Georges de Lespinat, dans ses confidences, me l’a nettement affirmé. On peut prévoir que cette évolution s’accentuera de plus en plus : Petit-Pierre et ses contemporains seront sans doute, encore moins que Georges, tourmentés par l’obsession galante des jeunes Français d’autrefois. Ils ressembleront de plus en plus (les inévitables différences de la race mises à part) aux jeunes Anglo-Saxons leurs contemporains ; la société des jeunes filles les attirera, ils y seront habitués ; mais ils y porteront la réserve un peu défensive qui sied avec un adversaire informé et armé… De cette évolution-là, je suis sûr. C’est un des rares pronostics que j’ose formuler. Et ce n’est pas une des moins curieuses conséquences de la tendance à l’égalité des sexes. On ne la prévoyait guère : maintenant qu’on la constate, on s’aperçoit qu’elle était fatale.

Sans doute, notre jeunesse française y perdra cette effervescence amoureuse qui fit parfois éclore des poètes, des artistes précoces, et qui prête un charme languide aux souvenirs puérils des hommes de mon temps. Mais je crois que le mariage y gagnera, que la nation y gagnera, que la race y gagnera.

Et je dirigerai résolument Petit-Pierre vers cet idéal.


Une troisième « absence » que j’ai notée au détriment de la nouvelle couvée, — c’est l’absence de loi morale supérieure, d’idéal, et de vie intérieure… Ce n’est guère sa faute : elle vit dans un pays où les traditions religieuses, morales, idéales sont, sinon abolies, du moins morcelées, dispersées en lambeaux. Il en résulte que, se rapprochant maintenant des jeunes Anglo-Saxons par les mœurs, le tempérament, la conception de la vie, nos enfans en diffèrent tout de même dangereusement : car