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sommes mûres ; cueillez-nous vite !… » On va commencer les vendanges. Rien ne saurait me retenir loin des coteaux où flotte l’acre senteur du pressoir… Je pars demain à l’aube.

Je pars demain. Et selon ma constante habitude (que je vous ai transmise parce que je la crois utile), avant de quitter ce coin de France, mon abri durant plusieurs semaines, j’essaye de dresser l’inventaire du morceau de vie laissé là. Quel usage ai-je fait de mon séjour en Berry ? Fut-ce du temps perdu ? Fut-ce simplement un temps de plein repos, — nullement perdu si la vie intérieure ne demeura pas inactive, tandis qu’on chômait ?

À la vérité, je n’ai pas écrit une ligne de copie : le dossier qui renferme les projets de nouvelles, de romans ou de pièces est demeuré soigneusement sanglé… Tant mieux ! Au moins n’aurai-je pas ajouté une seule page superflue à toutes les pages, bonnes ou mauvaises, que j’ai déjà accumulées. Au moment de la vie où me voilà, un écrivain n’a plus le droit de prendre la plume à tout bout de champ. Et quand on a dédié vingt volumes à ses contemporains, le vingt-et-unième se doit commencer avec circonspection.

Donc, pas une ligne de copie en près de trois semaines. Je n’ai manié la plume (sans compter les ennuyeuses broutilles de la correspondance courante) que (pour vous écrire cinq longues lettres, ma Françoise, — pour résumer brièvement mes impressions de lectures (relu Corinne, relu le Médecin de Campagne ; lu un volume de Bergson), — -et enfin pour ajouter quelques fiches à mon dossier sur l’éducation. Tout à l’heure, j’ai classé ces fiches ; elles constituent le plus clair de mon acquis intellectuel, à Ambleuse. Essayons d’en résumer la substance pour mieux évaluer cet acquis.


J’ai trouvé ici une admirable opportunité, comme disent les Anglais, pour observer la « nouvelle couvée. » Je ne compte pas Pierre, Simone et le « lardon scientifique, » — trois sujets que déjà je possédais à fond. Mais Noël Laterrade, Guy Demonville et ses deux sœurs, Sam et May Footner, Cécile Bernier, Sylvie et Georges s’offrirent ici à mon objectif, échelonnés Comme par une complaisance providentielle, entre douze et dix-sept ans, entre la veille de l’âge ingrat et le seuil de la jeunesse,