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— Moi ?… Je suis fort tranquille… Et je vous avoue que quand je lis certains romans de Zola ou même de Maupassant, la fièvre sensuelle de tous ces gens-là me semble un peu risible… Je ne les comprends pas… Voilà pourquoi l’idée de me fiancer à dix-huit ans pour me marier cinq ou six ans plus tard ne m’effraie pas plus qu’elle n’a effrayé Sam.

Nous ne parlâmes plus, de quelque temps. L’aveu si net de Georges ne me surprenait pas au point qu’il croyait : je ne l’avais pas attendu pour remarquer la sérénité dédaigneuse des adolescens français d’aujourd’hui en face de l’attrait féminin. J’en avais même cru distinguer les causes : . nouvelle allure des jeunes filles, plus camarades, plus égales, plus rivales des garçons dans l’activité physique ou intellectuelle ; développement de l’esprit positif et arriviste chez les deux sexes ; énorme accroissement de l’activité sportive, laquelle peut avoir des inconvéniens, mais qui assainit merveilleusement les cœurs en endormant les appétits. À la vérité, je n’étais pas entièrement du même avis que Georges. Nos jeunes Français s’acheminent, sans aucun doute, vers les mœurs sentimentales de leurs contemporains d’outre-Manche : mais d’abord, ils n’y sont pas encore, et, d’autre part, je doute qu’ils y arrivent jamais ; on ne change pas le tempérament d’une race. J’exprimai ces réserves à Georges, qui s’obstina :

— Vous vous trompez, je vous assure. Nous sommes, dès maintenant, une génération de garçons très raisonnables, très calmes, sous nos apparences de flirt. N’apercevez-vous pas déjà que les jeunes filles, comme en Angleterre d’ailleurs, sont plus provocantes que nous ?… Je vous répète que, personnellement, je ne suis point tourmenté par ma jeunesse. La voix intérieure qui me chuchote de temps en temps : « Sois Rastignac ! sois Rubempré ! » n’a d’écho que dans mon imagination. Elle laisse mon tempérament paisible.

Ce bel adolescent de dix-huit ans, qui en paraît vingt, solide, râblé, entraîné à tous les sports, familier de tous les livres de passion et de sensualité, accoutumé à la société des jeunes filles qui le comblent d’attentions, — je le regardais tandis qu’il parlait. Aucun doute : la sincérité même.

— Mais alors, questionnai-je, puisque vous êtes, au fond, si calme dans votre jeune célibat, pourquoi cette alliance prématurée avec une femme ?