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— Plus tard, on s’engage en connaissance de cause. Vous n’avez encore vécu que par le rêve, mon cher enfant. Attendez au moins d’avoir subi le choc des tentations, pour mesurer votre résistance.

Georges rougit encore, et fut un moment silencieux. Puis, me regardant bien en face :

— Monsieur, vous ne vous offusquerez pas si je vous dis toute ma pensée ?

— Allez !

— Je crois que vous ne jugez pas tout à fait comme ils sont les jeunes Français de ma génération. Il y a bien de la différence avec la précédente, telle qu’elle m’apparait chez mes aînés immédiats, et surtout avec votre génération à vous, telle que les livres nous la racontent… Vous êtes frappé, — m’avez-vous dit, — de l’absence de vergogne des jeunes gens d’à présent, et même des jeunes filles. Certes, nous sommes plus libres dans nos manières et dans nos propos : pourtant, croyez-moi, il y a parmi nous moins d’intrigues suspectes que je n’en surprends chez mes aînés. Mais, surtout, comment vous exprimer cela ?… eh bien !… il me semble que nous pensons autrement aux femmes… un peu comme y pensent les jeunes gens Anglais, dont nous avons pris de plus en plus les habitudes physiques. Sam Footner, qui n’est guère plus vieux que moi, est engaged en Angleterre avec une jeune fille un peu plus âgée que lui : il est admirablement sérieux, et, tout « flirt » qu’il paraisse, très respectueux du sexe féminin, avec une nuance de peur. Guy Demonville, lui, n’a pas grands scrupules, mais sa conversation, entre hommes, est surtout farcie de snobisme ; il affecte un grand dédain pour l’autre sexe, qu’il déclare bon, sans plus, au papotage et au flirt. L’an passé, quand j’allai à Paris avec mon père, on m’a fait connaître des jeunes gens de mon âge : j’ai vu des arrivistes, des esthètes, des sportsmen, des noceurs de chez Maxim’s ; je n’ai pas vu de Faublas… Ici, dans ma province, c’est plus significatif encore. Des amis à moi, le jeune Lasmolles, par exemple, se font un orgueil de leur sages.se monastique, exactement comme Sam Footner, qui n’a pas assez de sarcasmes pour la « malpropreté française. »

Je ne pus m’empêcher de demander :

— Et vous ?

Il ne baissa pas les yeux.