Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux mains et on le faisant rasseoir… Mais alors, nous sommes hors du roman, en pleine réalité : c’est plus grave. Une question encore : vous êtes sur de vos sentimens, bien ! Ceux de Sylvie, qu’en savez-vous ?

Je goûtai infiniment la visible et vraie pudeur avec laquelle il me répondit qu’il croyait bien en être sur aussi… oui, qu’il en était sûr… De la pudeur chez un adolescent de nos jours, alors que ses contemporains montrent si peu de vergogne !… Je dus le presser pour qu’il me confiât les motifs de sa certitude… Y avait-il eu, entre Sylvie et lui, ce qu’on appelait naguère, si joliment, des aveux ? Non, rien de pareil… Le goût réciproque et point dissimulé de se rencontrer le plus souvent possible, de se regarder, de se parler. « Il me semble, dit Georges, qu’elle s’ennuie quand je ne m’occupe pas d’elle. » Et cet ennui, — voilà quel était le point délicat, — s’était accentué récemment, à mesure que Blanche Demonville cachait moins sa complaisance pour Georges… Mon jeune ami sut exprimer ces délicates confidences avec tant de modestie qu’elles ne me choquèrent point. Rien du coquelet fanfaron : on eût <lit qu’il s’excusait de sa double victoire.

— En somme, conclus-je, vous tenez pour un aveu le chagrin de Sylvie. Mon observation s’accorde avec la vôtre. Mais je vais vous faire une querelle : il m’a semblé, lors du récent tennis à Chambon, et tout à l’heure encore, pendant notre joute académique, que vous ne découragiez pas Blanche Demonville ?…

Il eut envie de protester, puis la sincérité l’emporta :

— Vous avez raison : je ne vaux rien. Il y a en moi un mauvais génie… comment dire ?… un mauvais génie littéraire… ou plutôt romantique… qui par momens me suggère : « Va donc, satisfais-toi… use de la vie… sois Rastignac, Rubempré, Camors… Le temps où te voilà fuit comme un ruisseau de mai, que l’été va rendre aride. Pourquoi t’enlizer si tôt dans un devoir, fût-il tendre et doux ?… Inventes alium Alexin : tu trouveras toujours une autre Sylvie… »

— Je connais cette voix, dis-je : tous les hommes, les artistes surtout, l’ont entendue à votre âge. Mais une autre voix intérieure, il me semble, une voix plus grave, réplique en vous à celle-là, puisque vous ne songez pas sérieusement à Mlle Demouville ?