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qui consiste en ce que je jouisse en vous des plaisirs qui vous sont propres et qui ne sont pas les miens et que vous jouissiez en moi des plaisirs qui me sont propres et qui ne sont pas les vôtres.

— Mais c’est établir en moi un dualisme, en vous un dualisme aussi.

— Précisément ! Et voilà une des paroles les plus profondes qu’ait prononcées Nietzsche : « L’égoïsme [pour jouir de lui-même et par conséquent pour être un égoïsme vrai] contient, comme condition, un dualisme, ou une multiplicité en une seule personne. » C’est-à-dire que, pour nous aimer, il faut nous aimer et un autre ; ou nous aimer et plusieurs autres.

Quand on réfléchit un peu à ceci, il nous amène, selon Nietzsche, à certaines conclusions, provisoires du reste, qui ne sont pas d’une moralité très édifiante. Par exemple, à quel âge la jeune femme est-elle capable de cet amour-amitié-abnégation partielle dont nous parlons ? A trente ans au plus tôt. Et le jeune homme ? A trente ans au plus tôt. Alors il ne faudrait marier hommes et femmes qu’à trente ans ! Ce serait monstrueux ; car « le mariage est une institution nécessaire de vingt à trente ans (pour que l’homme ne se déprave pas), utile de trente à quarante ans, pernicieuse plus tard et amenant la décadence intellectuelle de l’homme » (entendez que se marier après quarante ans, non pas continuer à être marié, nous abêtit !. Que faire donc ? Il ne serait pas moral, mais il serait bon, salutaire pour l’homme au moins, « qu’il se mariât à vingt ans avec une jeune fille plus âgée, qui lui serait supérieure intellectuellement et moralement et pourrait devenir son guide à travers les périls de la vingtaine : ambition, haine, mépris de soi-même, passions de toute espèce. L’amour de cette jeune fille se tournerait ensuite entièrement en affection maternelle et non seulement elle supporterait, mais elle exigerait de la façon la plus salutaire que l’homme, à la trentaine, épousât une fille toute jeune dont il prendrait à son tour en main l’éducation. »

Je laisse à Nietzsche la responsabilité de cette assertion. Il se peut que ce système ait quelque bon ; mais, moralité à part, la femme y est bien sacrifiée. Allemand, plus qu’Allemand.

Un autre correctif nécessaire du mariage serait peut-être celui-ci : 1° pour que l’amitié conjugale ne soit pas comme dévorée par l’amour ; 2° pour que le principal soin des époux soit