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seule nation européenne. Tanger sera une espèce de république où tous les élémens internationaux se tiendront en équilibre de manière qu’aucun d’eux ne l’emporte décidément sur les autres. Tel est le but : l’organisation qui s’y adapte sera trouvée sans grande peine, d’autant plus qu’il y aura peu de chose à changer à l’état actuel. L’opinion, chez nous, n’est nullement préoccupée de la question de Tanger. Il n’en est pas tout à fait de même de la question espagnole : on s’étonne que des négociations entamées depuis si longtemps n’aient pas encore abouti. Elles se poursuivent dans un grand mystère, ce dont nous sommes loin de nous plaindre : nous nous plaindrions plutôt qu’il y ait eu parfois, du côté espagnol, des demi-indiscrétions qui ont jeté quelque trouble dans les esprits et qu’il a fallu s’empresser de rectifier. Mais pourquoi ces négociations n’ont pas encore produit de résultat, c’est ce qu’on a de la peine à comprendre. Il est possible que tout à l’origine, c’est-à-dire au moment où il a été distrait dans sa marche sur Fez par l’occupation espagnole de Larache et d’El-Ksar, le gouvernement français ait montré quelque surprise et même quelque nervosité ; mais il n’a jamais entendu méconnaître les engagemens qu’il avait pris envers l’Espagne, et il s’est borné à demander à celle-ci de reconnaître à son tour qu’une situation nouvelle, dont nous avions fait tous les frais, comportait quelques modifications introduites à l’amiable dans nos arrangemens primitifs. Il semble bien que l’Espagne ait reconnu ce principe : dès lors, tout aurait dû, semble-t-il, devenir facile. En réalité, rien ne l’est devenu.

Dans l’ignorance où nous sommes des points où des divergences se sont produites, nous dirons seulement quelles sont, à notre avis, les idées directrices dont nos négociateurs ont à s’inspirer. D’abord l’Espagne restera absolument libre dans sa zone : une seule question doit être réglée en commun, celle du chemin de fer qui est appelé à la traverser. Pour le reste, moins nous aurons d’accointance avec l’Espagne, et mieux cela vaudra. Loin de nous toute pensée de condominium ! Nous aimons beaucoup nos voisins espagnols ; nous sommes de même race qu’eux, nous avons quelques-unes de leurs qualités et quelques-uns de leurs défauts ; mais cela n’aide pas toujours à s’entendre et, peut-être pour ce motif même, l’accord avec eux sera d’autant plus facile que nos intérêts seront plus nettement séparés. Bénissons le ciel qui, en Europe, a mis entre eux et nous les Pyrénées, bien que cette barrière n’ait pas toujours été suffisante. Malheureusement, il n’y en a pas de semblable au Maroc entre leur zone et la nôtre ; il faut donc en créer une moralement, artificiellement, et éta-