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très bien, — qu’il n’y passait point pour la première fois. Jadis il y avait distingué la belle Jana, devenue, après son départ, la femme de Pradea l’aubergiste. Entre Stan et Jana le revoir a vite ranimé l’amour. Et tous les deux fuiraient ensemble, si la maîtresse actuelle de Stan, une bohémienne, ne s’opposait à leur fuite. Sans balancer, le cobzar poignarde la jalouse. Mais le mari survient et fait un beau tapage. On accourt, on saisit le meurtrier, et pour n’être point séparée de lui, fût-ce au bagne, au fond des salines souterraines, Jana plante bravement à son tour un couteau dans le des conjugal.

Mlle Vacaresco publia jadis, en français, un recueil des « chansons du cobzar, » devenu, paraît-il, introuvable. Un de nos confrères en a dernièrement rappelé quelques-unes qui ne sont pas sans beauté. Le poème de l’Opéra ne vaut pas la poésie de ces ballades. Il est rapide, violent, et la musique ressemble au poème. Après l’avoir entendue, le soir de la répétition générale, un de nos voisins nous exposa pourtant ses raisons de l’aimer. Il y trouvait un véritable sentiment dramatique, de la grandeur, et de la puissance dans la symphonie, ou du moins dans l’orchestre, autant que dans les voix. L’instrumentation ne lui paraissait pas non plus manquer d’originalité. Mais surtout il goûtait, en cette œuvre exotique, une couleur, une saveur locale, orientale à demi et partout répandue. Il n’avait peut-être pas tort. Et parce que, sur les trois auteurs du Cobzar, deux appartiennent à ce sexe qu’on ne saurait frapper, ne fût-ce qu’avec une fleur ; parce que toutes les deux sont étrangères, hôtesses de la France et ses amies, les lois de la galanterie et celles de l’hospitalité nous interdisent également de discuter l’opinion de notre interlocuteur.


CAMILLE BELLAIGUE.