Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sympathie et d’admiration imperturbable, qu’une femme appartenant à la haute société russe, et qui signe Wladimir Karénine, est en train de renouveler la biographie de George Sand. J’ai signalé ici même, lorsqu’ils parurent, il y a treize ans, les deux premiers volumes de cet important travail. Tous ceux qui, depuis lors, ont eu, comme moi-même, à écrire sur George Sand, savent ce qu’ils doivent à ce répertoire d’une si riche et solide érudition ; et ils ont eu plaisir à le reconnaître. Wladimir Karénine a d’ailleurs parfaitement conscience des services qu’elle nous a rendus, et elle s’en explique avec une malice où je trouve bien plus d’agrément que n’en aurait une modestie affectée : « Depuis la publication de nos deux premiers volumes, la plupart des auteurs font montre d’une connaissance extrêmement exacte et approfondie de la biographie de l’auteur de Consuelo jusqu’en... 1838 ; mais, après cette date, ils en parlent avec le même à peu près et passent avec la même rapidité sur des séries d’années de la vie de George Sand, — comme avant 1899, date de la publication de ces deux premiers volumes. » Voici donc, pour venir à notre secours et nous guérir de l’à peu près, un troisième volume : George Sand, sa vie et ses œuvres, 1838-1848[1]. Ce nouveau volume ne le cède guère en intérêt aux précédens. Certes ces dix années de la vie de George Sand ne nous offrent rien de comparable, pour la fraîcheur ou l’éclat du coloris et pour l’intensité du romanesque ou du romantique, à l’enfance dans la campagne berrichonne, aux rêveries entre les murs et par-dessus les murs du couvent, aux déceptions et à la révolte de la jeune femme, à la fugue vers Paris, à l’embarquement pour Venise. Et il est vrai que, dans la vie d’un écrivain, ce qui nous attire surtout ce sont les années de la lente formation intellectuelle et c’est l’instant où éclate brusquement la personnalité. Cette époque est passée, depuis du temps déjà, pour la romancière dont les œuvres les plus bruyantes ont paru ; ni de son talent, ni de ses idées, ni de son genre de vie, on n’attend plus de révélation. Aurore Dudevant et Lélia ont vécu. Nous n’avons plus affaire qu’à Mme Sand, auteur arrivé et femme bientôt mûre, installée dans sa gloire et dans sa bohème.

Ce qui rend particulièrement utile l’étude que nous donne ici Wladimir Karénine, c’est que, pour cette période de la vie de George Sand, les sources de sa biographie ont été volontairement altérées ou même taries. C’est l’époque du ménage avec Chopin. Le chapitre de

  1. George Sand, sa vie et ses œuvres (1838-1848), par Wladimir Karénine, 1 vol. in-8 (Plon).