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prendre vis-à-vis de ces messieurs. Il faut que je sache seulement le nom de votre rapporteur et j’irai moi-même.

LE CHEVALIER. — Mais je n’ai point de rapporteur, que voulez-vous donc dire ?

LE MARQUIS. — Si vous n’avez pas encore de rapporteur, il n’est pas temps de solliciter vos juges.

LE CHEVALIER. — Mes juges. A propos de quoi ?

LE MARQUIS. — Pour votre procès.

LE CHEVALIER. — Mais je n’ai point de procès.

LE MARQUIS. — Comment ! ne m’avez-vous pas dit que vous voudriez que votre procès fût jugé avant votre départ pour la campagne ?

LE CHEVALIER. — Eh ! non. Je vous ai toujours parlé d’une compagnie de cavalerie que je veux avoir.

LE MARQUIS. — Campagne, compagnie, c’est apparemment parce que ces eoux mots se ressemblent que j’ai brouillé tout cela.

LE CHEVALIER. — Oui, car je ne vous ai point parlé de procès.

LE MARQUIS. — Vous avez raison, c’est la comtesse qui en a un et que je me suis chargé de suivre. C’est une femme charmante.

LE CHEVALIER. — Je la connais.

LE MARQUIS. — Eh bien ! que dites-vous de cette affaire-là ? Ne fais-je pas bien ?

LE CHEVALIER. — Quelle affaire ?

LE MARQUIS. — Est-ce que je ne vous ai pas dit que je l’épousais ?

LE CHEVALIER. — Non vraiment.

LE MARQUIS. — Cela me donne beaucoup de tracas, comme vous voyez.

LE CHEVALIER. — Et quand sera-ce ?

LE MARQUIS. — Je ne sais pas encore, car voilà plusieurs fois que. je viens ici pour lui en parler, et je ne sais comment cela se fait, je l’oublie toujours ; mais cette fois-ci j’ai mis un papier dans ma boîte pour m’en souvenir.

LE CHEVALIER. — Voilà un mariage bien avancé !

LE MARQUIS. — Je ne sais pas si elle consentira, car il est difficile de la fixer longtemps sur le même objet ; quand vous lui parlez, elle semble vous écouter, et elle est à cent lieues de là

LE CHEVALIER. — Elle est peut-être distraite ?

LE MARQUIS. — Oui, elle est distraite, c’est insupportable, cela.

LE CHEVALIER. — Oh ! je vous en réponds.


On voit le procédé, avec son enchaînement continu de coq-à-l’âne. M. de Marière. lui aussi, « n’est ni présent, ni attentif dans une compagnie, il pense et il parle tout à la fois mais la chose dont il parle est rarement celle à quoi il pense. » Son personnage est bien tracé, le dialogue alerte, souple, un peu lâché parfois, force le rire par ses effets de contraste, et Musset le retiendra par cœur.

Les scènes avec la comtesse ne sont pas traitées avec moins