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joua merveilleusement la farce de l’existence. Au suprême degré, elle posséda la science du monde et de la vie. La sienne est un chef-d’œuvre de raison calculée ; de remarquables facultés d’intrigue, une souplesse exempte de préjugés, la dextérité la plus réfléchie, aidée par la connaissance des vices de son temps, en assurèrent la réussite triomphale.

De noblesse problématique et de médiocre fortune, elle n’est cependant pas de ces beautés souveraines, une Montespan, même une Pompadour. Un dessin de Belliard, au Cabinet des estampes, nous montre les traits menus d’un visage chiffonné où proémine un nez trop long. Les yeux, il est vrai, largement fendus, sont expressifs, et les dents, qui paraissent superbes, se laissent volontiers apercevoir entre des lèvres bien dessinées et un peu renversées. Mais, si le minois apparaît insignifiant, la volonté se trouvait robuste et trempée pour le combat.

Toute jeunette, Jeanne-Charlotte est résolue à parvenir. Elle a déjà la mentalité de ces effrontées « arrivistes » féminines, déterminées à tout. A dix-sept ans, « pour le nom et pour le bien, » elle épouse le marquis de Montesson presque octogénaire et un tantet en enfance.

La voilà marquise authentique, compagne d’un vieillard peu gênant et riche à 80 000 livres de revenus.

C’est le siècle des salons : point de situation mondaine sans un cénacle littéraire. La nouvelle mariée s’ingénie, convoque des écrivains, recrute des applaudisseurs. A l’hôtel de Montesson, on lit des vers, on joue la comédie, on improvise l’à-propos, on cultive la breloque et la facétie chamberlane. On y donne aussi des concerts, Honavre se met au clavecin, Albanèze roucoule la romance. Entre temps, la marquise apprend la musique et s’exerce à la harpe. Hélas ! en dépit de ses efforts studieux, elle se montre pitoyable élève et quand elle parait en public, c’est Danyau son professeur qui joue dans la coulisse, durant qu’elle mime sur la scène « des airs de physionomie chromatique et des regards de sainte Cécile amoureuse. »

Enfin, ô consécration ! elle est invitée chez le prince de Conti, y « enguirlande » le Duc d’Orléans.

Mme de Genlis, qui déteste sa tantâtre, tout en la ménageant, lui dénie jusqu’à son talent d’actrice. Sans trop se lier aux dithyrambes intéressés de Grimm et de Collé, il faut admettre cependant qu’il était réel et que le rôle de Pomone servait bien