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apparence physique subsiste donc à nos yeux et les témoignages contemporains, multiples et précis, nous renseignent sur son être moral.

En cette année 1762, l’un des dessins conservés dans les portefeuilles de Chantilly, nous le montre, vêtu d’un habit de velours grenat moucheté de vert, occupé à peindre dans un grand album étalé devant lui, sur sa table de travail. Il était alors au début de sa faveur, en pleine possession de ses moyens, et dut se représenter avec une grande vérité. Sous la perruque poudrée à cadenettes, le visage scrupuleusement rasé a de la physionomie, les traits réguliers de la finesse et du caractère. L’œil brille, vif et pénétrant, à l’abri d’un front découvert, le menton est accusé, la bouche, malicieuse, mais sans amertume, offre quelque ressemblance avec celle de Voltaire. L’allure générale est à la fois affable et spirituelle. A bien étudier les lignes de ce masque bienveillant, on y découvre, en même temps qu’une confiance optimiste dans la vie, l’intelligence la plus déliée, aussi prompte à sortir des difficultés qu’à tirer parti des circonstances. Esprit, amabilité, entregent et souplesse, telles paraissent bien, en effet, avoir été les qualités dominantes de Carmontelle, celles que les contemporains, Grimm, Mme de Genlis et jusqu’à cette méchante langue de Bachaumont, lui reconnaissent à l’envi.

Toutes allaient lui être indispensables, pour se maintenir sur le terrain glissant, où l’avait introduit l’amitié de son protecteur.


II

Le gros bourg de Villers-Cotterets érige, au milieu des bois qui l’enserrent de toutes parts, l’humble ordonnance de ses maisons basses, que séparent, en damier, des venelles étroites, à la chaussée raboteuse et disjointe. Aujourd’hui, en dépit de ses fabriques d’arçons, de ses usines de brosserie, ce n’est plus qu’un assez morne chef-lieu de canton ; mais au XVIIIe siècle, durant les mois d’été, l’emplissait le tintamarre joyeux des carrosses, dévalant, à grand bruit, sur le pavé du Roi...

— Clic, clac !... Arrière, canaille, et place, manans... La canne des coureurs caressait les échines retardataires ; sur le siège, Lafleur ou Picard enlevait ses boulonnais et la voiture passait