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hérésies, sans compter les schismes. » Un peu de Bossuet, un peu de Pascal, — M. Lemaître cite souvent les Pensées, et j’en suis bien aise ! — un peu de Fénelon, voilà tout ce qui a dû compléter son éducation théologique. Je ne pense pas qu’il soit très exactement informé de la façon dont se pose le problème religieux dans la pensée et la conscience contemporaines. Il écrit, dans son Fénelon, que « les théologiens révoltés croient au surnaturel autant que les catholiques et demeurent aussi bizarres, aux yeux d’un esprit totalement détaché des dogmes, que les théologiens orthodoxes. » L’épithète est au moins... bizarre, et sonne étrangement son Voltaire : les croyances dogmatiques ne peuvent paraître « bizarres » qu’à ceux, fussent-ils détachés des dogmes, qui n’ont guère étudié les questions. « Quel pauvre être de volupté suis-je donc, moi, soupirait jadis M. Jules Lemaître, pour aimer à la fois, — et peut-être également, — Renan et Veuillot ! » A divers signes, je me demande si Renan, — le dernier Renan, celui qui revenait à Voltaire, — ne l’a pas, dans son cœur, emporté sur Veuillot. « Je n’ai jamais été croyant, déclarait-il tout récemment, mais plus j’avance, moins je le suis ; je crois même que je le suis chaque matin un peu moins... » Il serait peut-être fâcheux que tant d’esprit, de pénétration, de délicatesse morale aboutît, définitivement, à une conclusion de ce genre.

Ce serait même d’autant plus fâcheux que, à la bien prendre, la morale de M. Jules Lemaître, je l’ai déjà noté, si elle n’est pas fondée sur le dogme, a retenu, pour une très large part, les préoccupations et même les prescriptions essentielles de la morale chrétienne, — je ne dis point de la morale janséniste. Cela est visible dans toute son œuvre d’artiste et de critique, mais plus particulièrement peut-être dans ses feuilletons dramatiques, et notamment dans ceux qu’il a consacrés à Alexandre Dumas fils : rien n’est alors plus curieux, et plus instructif, que de voir les deux moralistes aux prises, opposer l’une à l’autre leurs conceptions de la vie et du devoir. Plus rigoriste souvent, en apparence, la morale de Dumas fils est, généralement, plus trouble, plus mêlée, moins sûre, moins délicate et moins élevée, moins humainement chrétienne que celle de M. Lemaître. Un sentiment très vif, parfois même assez âpre, de la faiblesse et de la misère humaines, du « péché originel, »