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les hommes cherchent avant tout un être profond, sensible, les femmes au contraire un être habile, avisé et brillant, c’est qu’au fond l’homme recherche l’homme idéal, la femme la femme idéale, et ainsi ils ne cherchent pas le complément, mais l’achèvement de leurs propres avantages. »

Le paradoxe est joli, comme presque tous les paradoxes de Nietzsche, et peut-être n’est-il pas si loin de la vérité. Le vrai, c’est peut-être que la femme a l’intelligence pratique et l’homme l’intelligence abstraite et que la femme a la sensibilité vive et rapide et l’homme la sensibilité lente et creusante ; d’où il peut paraître, à regarder d’un certain biais, que c’est la femme qui est intelligente et l’homme qui est sensible. Réfléchissez.

Il arrive que les femmes soient très méchantes. Cela est fâcheux ; mais cela, pourvu qu’il tombe bien, peut avoir une bien grande utilité sociale. On peut différer d’avis sur Socrate et sur l’orientation nouvelle qu’il a donnée à l’humanité, mais non sur l’importance de cette orientation ; or d’orientation, il n’en aurait pas donné du tout, si Xanthippe avait été une bonne femme. Si Xanthippe avait été une bonne femme, Socrate n’eût point passé sa vie sur la place publique à évangéliser les Athéniens. De la méchanceté de Xanthippe, c’est une immense révolution intellectuelle et morale qui est sortie, peut-être un progrès. Beaucoup le croient.

J’ajouterai modestement une note marginale. Il ne faut pas remonter, ni monter jusqu’à Socrate. Je causais avec un chef d’administration : « Je ne veux ici que des hommes mariés.

— Voilà, monsieur le directeur, une très respectable pensée patriotique.

— Ce n’est pas patriotique le moins du monde ; c’est bureaucratique. L’employé célibataire ne songe qu’à quitter son bureau pour aller au café ou rentrer chez lui faire des vers. L’employé marié se plaît au bureau, seul endroit où il soit à l’abri de sa femme. Il n’aspire pas à rentrer chez lui ; il en a peur. Pour l’employé célibataire, le bureau est lieu d’esclavage, pour l’employé marié, le bureau est lieu de liberté. Si vous ne comprenez pas pourquoi je ne veux que des employés mariés !... » — La méchanceté des femmes est d’une considérable utilité sociale.

Revenons : si la femme est si intelligente, tout le féminisme est vrai, et Nietzsche va être féministe radical. Il ne l’est pas et