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droits partout, et que leurs divinations vont souvent plus loin et plus avant que les lentes trouvailles du labeur myope et de la conscience la plus minutieuse. Et cela est sans doute un peu immoral, — car quelle est la paît du mérite personnel dans l’intelligence et le talent ? — mais, comme se plaît à dire M. Lemaître, « c’est ainsi. »

Et enfin, si peut-être, pour bien connaître et pour juger avec équité Rousseau, Fénelon et Chateaubriand, il y a lieu de lire avec quelques précautions les conférences qu’il leur a consacrées, ces conférences sont du plus haut intérêt pour qui veut bien connaître le conférencier.


Ce que l’on aime en vous, Madame, c’est vous-même.


La personnalité de l’auteur des Impressions de théâtre s’y complète et s’y achève. Au contact de la personne intellectuelle et morale de ces trois écrivains, la sienne, je n’ose dire se développe, mais en tout cas laisse percer au dehors et peut-être découvre certains traits insoupçonnés d’elle-même. A vivre dans un commerce prolongé avec de grands esprits qui ont remué beaucoup d’idées, il n’a pu s’empêcher de prendre parti intérieurement sur les questions qu’ils agitaient, et de le laisser voir. A ne considérer cette série de conférences que comme des « impressions » personnelles sur certains auteurs et sur certains problèmes, ces impressions doivent entrer en ligne de compte dans la définition que l’on donnera du talent et de la pensée du critique. Elles ne seront d’ailleurs pas inutiles non plus à l’historien qui voudra en faire librement son profit : car il est bien vrai que l’histoire est autre chose qu’une suite d’impressions ; mais, d’autre part, les impressions d’un esprit original et ingénieux peuvent servir, en plus d’un cas, à pénétrer plus profondément dans l’intelligence du passé...

En succédant à Brunetière dans la chaire improvisée où ce dernier avait inauguré son cours sur l’Encyclopédie, M. Jules Lemaître, qui se connaît assez bien lui-même, caractérisait avec beaucoup de bonheur sa manière propre en l’opposant à celle de son prédécesseur :


Une grande force bienfaisante, disait-il, nous a été enlevée avec lui. Je n’ai ni son érudition, ni sa vigueur d’esprit, ni son aptitude à concevoir et enchaîner les idées générales, ni son éloquence. Je ne le dis pas par convenance