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« Et ce n’est pas le seul grief que j’ai contre lui ! Je suis orfèvre, je le sais bien : je veux dire que j’ai le malheur de n’être à aucun degré conférencier ou orateur ; mais j’ai beau faire aussi large que possible la part aux habitudes ou aux nécessités du genre : je ne puis m’empêcher de penser que M. Lemaître a fait à son auditoire des concessions peut-être excessives. Les « complications sentimentales » l’attirent, et il s’arrête avec une trop visible complaisance à certaines questions fort délicates, parfois même un peu scabreuses. Croyez-vous qu’il fût bien nécessaire, par exemple, d’insister, comme il l’a fait, sur les maladies de Rousseau et sur toutes ses souillures ? Je n’aime pas beaucoup non plus, quelque brillans ou ingénieux qu’ils soient, certains morceaux de bravoure qui semblent appeler les applaudissemens, et j’aime moins encore certaines plaisanteries, certains commentaires, certaines parenthèses ironiques, certains clignemens d’yeux malins, qui, trop manifestement, sollicitent le sourire. L’auteur des Contemporains a infiniment d’esprit, j’en conviens, et je ne suis pas assez béotien pour être insensible au pétillement de sa verve. Mais quoi ! n’abuse-t-il pas quelquefois de ses dons ? Et ne sont-ce pas des « effets » un peu bien faciles que ceux qui consistent à interrompre par des « Parbleu ! » des « Pourquoi ? « des « Dame ! » des « Vlan ! » des « Crois-tu ? » l’auteur que l’on cite ? Il est bon de sourire, et même de rire ; il est peut-être inutile de ricaner.

M Et enfin, j’en veux à M. Jules Lemaître. de n’avoir pas abordé les écrivains qu’il se proposait d’étudier avec le très libre esprit qu’il apportait autrefois à ses travaux littéraires. Lui qui jadis a tant reproché à Brunetière son dogmatisme, — et le dogmatisme de Brunetière n’a jamais été pourtant que littéraire, — il apporte maintenant dans la critique le plus fâcheux des dogmatismes, le dogmatisme politique. Il n’a plus rien à reprocher à Paul Albert ! Les préjugés, les partis pris de l’école à laquelle il appartient ne le quittent plus guère et limitent d’une manière souvent bien fâcheuse le champ de sa vision. Si Racine avait eu le malheur d’être républicain et démocrate, il n’aurait pas été étudié avec tant d’amour, et peut-être même n’aurait-il pas été étudié du tout. Fénelon lui-même a pâti d’être un peu le précurseur du siècle de l’Encyclopédie. Rousseau a été fort malmené en tant que père de toutes les erreurs modernes, et Chateaubriand, son héritier et son disciple, a bien