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M. Jules Lemaître, ne laisse pas de trahir, — dirai-je quelque inexpérience ? — tout au moins une maîtrise un peu incertaine. Il est vrai que ces flottemens sont peut-être dus au fait que, en composant, son roman, l’écrivain songeait déjà sans aucun doute à la pièce qu’il en a tirée, et qu’il a été amené par la force des choses à confondre les procédés des deux « genres : » de telle sorte que, après avoir rapproché, apparemment avec quelque excès, le théâtre du roman, il s’est trouvé rapprocher le roman du théâtre. C’est ainsi que les expositions rétrospectives qui, d’ordinaire, dans le roman, se font sous forme de récit, se font ici, — comme au théâtre, où elles ne se peuvent faire autrement, — sous forme de dialogue. Et il faut avouer que cela donne à certaines parties de l’œuvre un air d’invraisemblance qui aurait pu fort aisément être évité.

Ces imperfections constatées, on est plus à l’aise pour reconnaître les rares qualités de cet unique roman : une agilité et une grâce de style à laquelle M. Lemaître nous a habitués, mais que nombre de romanciers contemporains ignorent, hélas ! profondément ; une ingéniosité et parfois une profondeur d’analyse psychologique qui ravira tous les « amateurs d’âmes ; » une merveilleuse abondance d’idées sur toute sorte de sujets et de questions contemporaines, littéraires aussi bien que sociales. Voici, par exemple, la plus forte réfutation que je connaisse de certaines théories esthétiques en faveur dans certains cénacles :


Sa crédulité aux formes nouvelles de poésie et d’art était faite d’ignorance, de nervosité un peu morbide, d’inquiétude toute spontanée. Les formes anciennes l’offensaient par trop de précision et parce qu’elles lui paraissaient impropres à exprimer tout ce qu’il sentait de caché dans les choses. Il surfaisait ce mystère, ne prenait pas garde qu’il est purement subjectif, personnel à chacun de nous, fugitif et changeant ; que la perception de ce merveilleux on-ne-sait-quoi correspond à un moment inférieur de la production artistique et qu’il s’évanouit forcément à l’heure de l’exécution, puisqu’il est l’indicible, mais que d’ailleurs il renaît, une fois la forme fixée, de cette forme même ; que c’est l’expression arrêtée et intelligible qui contient et qui nous suggère le plus d’ « au-delà, » et qu’enfin ce sont les œuvres d’art ou les poèmes les plus précis, quand ils sont vraiment beaux, qui redeviennent dans notre pensée les plus mystérieux, les plus fertiles en rêves...


Et que dites-vous de ces quelques lignes sur la contradiction intime qui est au fond du rêve socialiste ?