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leurs biens et sur leurs privilèges, donnait un aliment à leurs aspirations vers un généreux idéal et faisait naître l’espérance d’une ère de liberté, de douceur et de tolérance. La bourgeoisie goûtait sa probité sévère, son esprit d’ordre et de méthode, la pureté de sa vie privée. Le peuple avait conscience du souci qu’il montrait de soulager les déshérités de ce monde et d’alléger le poids de la misère humaine. Enfin ceux qui formaient alors et qui gouvernaient l’opinion, les philosophes, les gens de lettres, les coryphées des bureaux d’esprit, reconnaissaient en lui un confrère, un allié, un coreligionnaire. Le salon de Mme Necker était le centre respecté où, sous la direction d’une femme intelligente et belle, se nouait, chaque jour plus étroitement, l’accord heureux des techniciens et des idéologues, des amis de la tradition et des réformateurs.

Ainsi se développait dans toutes les classes de la nation un sentiment d’approbation, ou, pour mieux dire, un engouement, justifié dans son fond, encore qu’excessif dans la forme, selon la coutume de l’époque. Nul ministre, depuis Colbert, n’avait paru peut-être aussi solide, aussi fortement établi. Et cependant déjà quelques observateurs sagaces, — Galiani, Mercy-Argenteau, — sondant le lointain horizon, découvraient des points menaçans, prédisaient l’ouragan qui, dans une heure prochaine, jetterait bas l’édifice de cette brillante fortune.


SEGUR.