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mêler à des jeux de garçons, ce qui, dans sa propre jeunesse, eût semblé monstrueux. Des raquettes en nerf de bœuf, tels furent quelques-uns des outils les plus énergiques pour briser la cloison étanche. Grâce, en partie, au tennis, le système absurde qui isolait les garçons des filles jusqu’au moment précis où la rencontre pouvait offrir le plus de dangers, ce système a péri. Les sports en commun habituent filles et garçons à se connaître dès l’enfance, alors que les filles ne rêvassent pas encore, que les garçons ne pensent pas encore à mal. L’adolescence venue, ce n’est plus la brusque mise en présence, en contact, de deux curiosités passionnées, de deux timidités ardentes, comme il arrivait naguère, le jour où l’oie blanche ouvrait ses ailes pour le premier bal… C’est révolution naturelle, prévue, des habitudes acquises durant l’enfance. Pour avoir contribué à cette révolution, honorons le tennis.

Toutefois, nulle révolution ne s’accomplit sans dommage. Les esclaves de la Louisiane ne passèrent pas indemnes à la liberté, ni les moujicks à l’affranchissement. L’apprentissage d’être libre exige plus d’une génération. Plusieurs de vos contemporaines, ma chère nièce, pâtirent de la réforme et se dévoyèrent. Les nouvelles couvées, nées dans des mœurs moins rigoureuses, risquent moins de souffrir par leur liberté même. Mais l’accoutumance n’est pas encore complète : les jeunes Français, les jeunes Françaises ne pratiquent pas encore, en 1912, la vie en commun avec cette parfaite aisance, cette absence d’arrière-pensée qu’y portent, par exemple, de jeunes Anglais comme Sam Footner et sa sœur May… J’eus la preuve et le spectacle de cette différence au tennis de Mme Demonville.

Sam Footner, partenaire de Blanche Demonville, luttait contre sa sœur May, partenaire de Guy Demonville. May et Sam avaient de commodes tenues de tennis, amples, simples, nettes ; le tailleur qui les avait conçues, et eux-mêmes qui les avaient acquises n’avaient eu d’autres pensées que d’en adapter la forme à leur objet sportif. Guy Demonville « lançait » un pantalon de flanelle légère et soyeuse, vaguement rosée, une chemise assortie, d’un ton à peine plus clair, une cravate lever d’aurore, bref, une vêture de tennisseur pour Gymnase ou Comédie-Française. Quant à Blanche, qui s’attife avec non moins de recherche, comme elle n’avait pas voulu renoncer, même pour le sport, à l’effet esthétique de « l’entravement, » elle s’était combiné certain