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refuse de s’éloigner. Son cheval est tué. Il ordonne à son escorte de se retirer. Vainement le général Lhérillier, le commandant Victor Thiéry et ses officiers le pressent-ils ; la division ne peut se passer de lui ; les périls auxquels il s’expose ne serviront à rien. Il reste inflexible : « Allez, messieurs, prendre en mon nom toutes les mesures nécessaires pour sauver le plus grand nombre de ces braves gens. » Et comme ses officiers hésitent à lui obéir. — « Mais allez donc ! allez donc ! vous voyez bien qu’avec vos chevaux vous m’attirez des balles. » Il ne savait pas comment on quitte en vaincu un champ de bataille ; il ne veut pas l’apprendre. Il préfère entrer dans l’ombre de la mort que de voir le soleil se lever de nouveau sur l’anéantissement de cette armée à laquelle il a donné tout son amour. Jusque-là, le feu l’a épargné, il l’obligera à l’atteindre. Il n’attend pas longtemps. Ses officiers l’avaient à peine quitté qu’un obus lui fracassait les jambes. Le chef de bataillon Duhousset l’aperçut étendu sur le dos au milieu de la route au moment où il allait être foulé aux pieds des chevaux, broyé par les roues des canons. Malgré l’ordre qu’il lui avait donné de l’abandonner, il le saisit sous les bras et le traîne à l’abri d’une maison.

Les Prussiens et les Wurtembergeois ne tardèrent pas à rejoindre les Bavarois par le Sud et par l’Est dans Frœschwiller ; ils n’eurent pas à le conquérir rue par rue, maison par maison, comme l’ont raconté les Prussiens. On ne voyait plus au milieu des habitations fumantes que des isolés qui essayaient de fuir en lâchant leur dernier coup de fusil ou qui se constituaient prisonniers, des blessés qui imploraient des secours, des habitans sortis des caves gémissant devant les ruines de leurs demeures, des soldats allemands errant à la recherche de leurs régimens. Mac Mahon n’avait quitté le village que lorsque l’ennemi y pénétra.

Le Prince royal avait, dans une certaine mesure, dirigé la bataille à partir de une heure. De la position dominante qu’il occupait, « le spectacle lui avait paru grandiose, émouvant, surtout lorsque les métairies voisines de Wœrth prirent feu et qu’on distingua sur toute la ligne la fumée des obus[1]. » Dès que tout fut terminé à Frœschwiller, il vint parcourir le champ de bataille, recevoir les acclamations des soldats, et leur porter

  1. Rapport.