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pour 100 : il a été impossible de venir à bout de leur opposition. Alors M. Asquith s’est décidé à déposer le bill.

Sa main tremblait sans doute un peu en le faisant. Il espérait, dit-on, que le bill serait voté au pas de course un jour par la Chambre des Communes, le lendemain par la Chambre des Lords, mais les choses, au début, ne se sont pas passées ainsi. La discussion a pris tout de suite à la Chambre des Communes l’ampleur qu’elle devait avoir : l’intervention de M. Balfour la lui a donnée. On sait que M. Balfour a renoncé à la direction du parti unioniste. Fatigué ou déçu après les rudes épreuves que lui ont imposées les entreprises du gouvernement radical contre la Chambre des Lords, il a pris sa retraite, mais il en est sorti pour combattre le nouveau bill qui, en matière sociale, lui a paru être une menace et un péril aussi redoutables que l’avait été, en matière politique, celui qui modifiait de fond en comble toute la vieille constitution britannique. M. Balfour a donc pris la parole à la Chambre des Communes et il n’a pas eu de peine à présenter contre le bill les argumens puissans qui devaient venir à un esprit politique et philosophique comme le sien. Fixer un salaire minimum, quelle atteinte portée à la liberté des contrats ! Limiter les applications du principe à une seule industrie, quelle impossibilité ! M. Balfour a mis en lumière tout ce que le bill contenait de désastreux pour le présent et pour l’avenir. Que pouvait lui répondre M. Asquith ? Il lui a répondu que nécessité faisait loi et, en somme, qu’il fallait céder aux ouvriers puisqu’ils étaient les plus forts. Soyons justes cependant : M. Asquith n’a pas cédé jusqu’au bout. Les ouvriers exigeaient que le bill contînt, à côté du principe du salaire minimum, le chiffre même de ce salaire, et ce chiffre devait être, bien entendu, celui qui avait été fixé par leur Fédération. M. Asquith a déclaré formellement qu’il ne consentirait à l’introduction d’aucun chiffre dans la loi et que des comités de district détermineraient sur place, d’après les circonstances locales, celui qu’il conviendrait d’adopter : ces comités seraient composés en nombre égal de représentans des patrons et des ouvriers, plus d’une sorte d’arbitre choisi par eux, et, à leur défaut, par le gouvernement. Tel est le système du bill. Chose curieuse : sur le premier point, le principe du salaire minimum, M. Asquith avait rencontré tout d’abord la résistance des patrons écossais et gallois, et ces mêmes patrons se sont montrés par la suite les plus disposés à accepter la fixation d’un chiffre de salaires parce que celui qu’on proposait était inférieur à celui qu’ils paient : ce sont les patrons anglais qui, à leur tour, ont