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puissantes du monde après celle de l’Angleterre étaient alors celles de la France et de la Russie : c’était donc à leur union possible qu’il fallait donner un contrepoids. Le problème se pose aujourd’hui différemment. « Le fait, dit M. Churchill, que la marine d’une seule puissance tient le premier rang parmi les marines continentales a changé tout cela. Le danger éventuel le plus grand pour nous n’est plus dans l’alliance et la coopération de deux puissances navales de forces approximativement égales, mais bien dans la croissance et le développement d’une marine très forte, très homogène, maniée par le peuple de l’univers le mieux doué pour l’organisation, obéissant à un seul gouvernement et concentrée à une faible distance de nos côtes. Le principe du double pavillon n’est plus applicable ici. A tabler sur les faits présens, la marine qui nous serait nécessaire pour nous mettre en garde contre la coalition la plus probable ne serait guère plus forte que celle dont nous avons besoin contre la puissance navale devenue la plus forte après nous. » En d’autres termes, M. Churchill estime qu’il n’a à se préoccuper que de cette puissance, aucune coalition contre l’Angleterre n’étant vraisemblable entre l’Allemagne et la France ou la Russie, non plus qu’entre ces deux dernières. Il s’agit donc de faire face à un pavillon unique, mais très redoutable dans son isolement, et c’est ici que se présente l’idée d’une proportion à établir entre la flotte britannique et la flotte allemande. Quelle sera-t-elle ?

M. Churchill estime qu’elle doit être aujourd’hui de 60 pour 100. Nous disons aujourd’hui, car elle devra être encore plus forte dans l’avenir, à mesure que le vieux matériel naval de l’Angleterre deviendra inutilisable et qu’il faudra le remplacer. Ce que dit M. Churchill du concours que ce vieux matériel est susceptible d’apporter à la défense de l’Angleterre forme une des parties les plus intéressantes de son discours. « En temps de paix, dit-il, nous exprimons le rapport des constructions des deux puissances par des pourcentages ; en temps de guerre, la force des marines en lutte est mesurée non par une comparaison, mais par une soustraction. Les batailles navales modernes ressemblent au duel de Manlius et d’Harminius à la bataille du lac Régille. C’est une considération très satisfaisante pour la puissance navale la plus forte ; elle a tout avantage à payer d’une unité l’élimination d’un navire ennemi ; là est pour elle le chemin de la victoire ; ces éliminations successives donnent toute leur valeur à ses navires anciens. Lorsque les as sont écartés, les rois sont les meilleures cartes. Nous possédons aujourd’hui plus de dreadnoughts