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Et comment chacun de ces trois élémens prédominent-ils l’un après l’autre dans les littératures sans s’engendrer les uns les autres ? Par réaction et non par génération. Le public, dans tel pays, se dégoûte d’un genre parce qu’il « l’a assez vu, » et c’est précisément l’antithèse de ce genre qu’il désire et de ce désir même naissent des auteurs qui la lui donnent. Doudan a dit : « Il n’y a que deux choses qui nous plaisent, l’idéal et notre ressemblance. » C’est un peu truism ; cat il ne peut guère y en avoir une troisième. La remarque reste intéressante cependant en ce qu’elle indique que nous nous plaisons successivement à ce que nous rêvons et à ce que nous sommes. Et c’est pour cela que le public passe à ceux qui observent quand il est las de ceux qui imaginent. À ce passage, à ce besoin de passer et de changer, contribue beaucoup le dépérissement d’un genre, et le dépérissement d’un genre est le fait des imitateurs. Quand un genre en est à être représenté par des artistes qui imitent ceux qui l’ont inventé, il ne fait plus sentir que le besoin de le remplacer par le genre qui le contredira le plus. Tout romantisme, à un moment donné, inspirera le désir d’une littérature réaliste, tout réalisme se prolongeant inspirera le violent besoin d’une littérature de sentiment et d’imagination.

Et romantisme et réalisme peuvent tous les deux, chacun à cause de ce qui lui manque et aussi à cause de ses excès, inspirer le désir d’une littérature classique ; mais une littérature classique, par tout pays, est un glorieux accident : un auteur de qualité classique se produit assez souvent ; mais la coexistence de plusieurs auteurs, classiques à la grande manière, est un accident. On arrive rarement à la pléiade, c’est-à-dire au chiffre sept.

J’ai voulu mettre une certaine précision dans les idées que m’inspire un beau livre qui ne me convainc pas. Ce qu’il y a encore de plus précis dans mon esprit, c’est que c’est un beau livre.


EMILE FAGUET.