Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confidentielle ; mais comme il est plus naturel et comme c’est aller moins loin et céder à l’impulsion intime que de suivre les mouvemens de la sensibilité en soi-même et de les peindre naïvement, en prenant du reste assez vite l’habitude d’une moindre naïveté et de certains arrangemens, agrandissemens et embellissemens, il est très difficile à l’homme très sensible de ne pas être confidentiel.

Pour ce qui est de l’imagination, il en va presque de même. Ce n’est certes pas être amoureux de soi-même qui donne de l’imagination ; mais avoir de l’imagination porte très bien à s’occuper beaucoup de soi. Le jeu de l’imagination nous ramène facilement à nous-mêmes parce que c’est dans ce jeu que nous nous admirons le plus. La sensibilité fait que nous nous aimons, que nous nous plaignons, que nous nous attendrissons sur nous-mêmes ; l’imagination fait que nous nous admirons, et cela n’est point fait pour nous détacher de nous. Le jeu fréquent, habituel, de l’imagination nous entraîne à nous observer complaisamment jouant ce jeu.

Nous nous plaisons à nous demander : « Comment étais-je, dans quel état d’esprit et d’âme, quand j’ai eu ce beau mouvement imaginatif ? Qui m’y a mené ? Qui m’y a acheminé ? De quelle source profonde de moi est-il sorti ? Quelle est la nature de cette source ? » Songez à tous les commentaires « personnalistes » et confidentiels que Lamartine a donnés de ses poèmes. Autant l’étude de la réalité, de la science, de l’histoire détache de soi (dans la mesure où l’homme peut s’en détacher), autant l’imagination qui semble détacher du moi y ramène, parce que le travail de l’imagination est au fond un travail du moi sur lui-même comme matière première. Voyez, dans la vie de tous les jours, que le hâbleur, le « gascon » (il en est qui sont du Nord comme il y a gens du Midi qui ne le sont pas) est en même temps l’homme qui invente et l’homme qui se met en scène, et voyez que les hommes de la plus puissante imagination, les Rousseau, les Chateaubriand, sont ceux aussi qui ont le plus aimé à parler d’eux.

Sensibilité, imagination et par suite, à ce que je crois, goût de la littérature confidentielle, tels sont les traits saillans de la littérature romantique, eu égard à son objet.

Au point de vue de la composition, elle diffère peu de la littérature classique. Elle aussi a beaucoup aimé la disposition