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surtout à la vérité psychologique et à la vérité psychologique qui est de tous les temps et de tous les lieux.

C’est pour cela que les classiques aiment tant l’antiquité. Ils l’aiment surtout parce qu’elle ne les gêne pas. S’ils voulaient atteindre la vérité psychologique de leur temps, ils seraient gênés par la présence dans leur esprit de modèles qui sont éloignés d’eux de deux mille ans au moins. Ils ne le sont pas par des modèles chez lesquels ils prennent les traits éternels. Par parenthèse, si, en général, ils préfèrent l’antiquité latine à la grecque, c’est que les Latins ont eu ce même goût de vérité générale, tandis que les Grecs, Homère peut-être excepté, ont été beaucoup plus nationaux et ont été curieux de s’exprimer eux-mêmes très précisément, très ethniquement. Ce point de vue peut être discuté, mais je crois qu’il en resterait toujours beaucoup. Ce n’est presque pas faux ; en littérature, n’être pas tout à fait faux, c’est une lumière considérable.

Retenons en tout cas ceci : en son objet, le classicisme est la soumission à la vérité psychologique et l’amour de la vérité psychologique. Il va sans dire qu’à ce compte chez un satirique ou un comique le réalisme s’introduira de lui-même et prendra une certaine place. Il y a du réalisme dans Molière, dans Boileau, dans La Bruyère, surtout dans La Bruyère, et M. Pellissier l’a montré complaisamment et loyalement. Mais le fond du classicisme c’est l’amour de la vérité psychologique générale. Ce sont les classiques français qui, en France, ont inventé « l’homme. »

Comme travail d’artiste, ce qui distingue le classicisme, c’est l’amour de la composition bien ordonnée. Les classiques ne s’attachent pas précisément à prouver, mais ils exposent comme on prouve. Ils disposent leur œuvre d’art, quelle qu’elle soit, de manière qu’elle mène d’un point à un autre par un chemin nettement tracé et jalonné avec précision ; et il en résulte que leurs dénouemens, ou leurs aboutissemens, ressemblent à des conclusions. Ils ont l’esprit géométrique, dont une espèce est l’esprit architectural. Géomètres et architectes, ils le sont essentiellement et ne peuvent se dérober à l’être. Leur œuvre d’art est toujours composée. Quelle qu’elle soit, même chez La Fontaine, quoique moins qu’ailleurs, on y sent le plan, et il ne se cache pas ; plutôt il s’accuserait avec complaisance, ou avec autorité.