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elle s’offre nous indique assez que si nous la saisissions, notre geste serait interprété comme une nouvelle reconnaissance du traité de Francfort et comme une renonciation à des espérances que, le voulions-nous, nous ne serions pas libres d’abandonner. Des rapports corrects et loyaux, des échanges de vues sincères, des ententes même, s’il y a lieu, « de cas en cas, » ou encore des rivalités localisées et des différends passagers réglés dans un esprit d’équité et de concorde, voilà ce que l’Allemagne et la France se doivent l’une à l’autre ; mais, dans l’état actuel de l’Europe, rien de plus. C’est la méthode politique que nous avons suivie de 1871 à 1898, et c’est à elle que nous sommes conduits à revenir. Nos alliés et nos amis nous en donnent l’exemple. Les Russes, à Potsdam, l’année dernière, se sont mis d’accord avec l’Allemagne sur la question du chemin de fer de Bagdad ; ils ont fait ce que nous aurions dû faire, depuis longtemps, à propos de cette même question qui va se trouver réglée sans que nous en ayons tiré le bénéfice qu’elle comportait pour nous. Le gouvernement anglais, après la période de tension qui a suivi le discours de M. Lloyd George (21 juillet 1911), a exprimé à plusieurs reprises son désir d’arriver à une détente avec l’Allemagne et de ne pas se mettre en travers de ses projets, tant qu’ils ne léseront pas les intérêts directs de l’Angleterre. Sir Edouard Grey l’affirme dans son discours du 27 novembre : « S’il doit se produire en Afrique, dit-il, de vastes modifications territoriales résultant, il va de soi, de négociations conclues de bon gré avec d’autres puissances, nous n’y interviendrons pas comme concurrent ambitieux. Or, puisque nous n’interviendrons pas comme concurrent ambitieux, si l’Allemagne a à négocier des arrangemens amicaux avec d’autres pays étrangers en ce qui concerne l’Afrique, nous ne serons nullement désireux de nous mettre sur son chemin, pas plus que sur celui de ces autres Etats. Je crois que c’est là la politique de sagesse pour notre pays, et, si la sagesse politique consiste à ne pas nous lancer nous-mêmes dans de grands projets d’expansion, je crois que ce serait une erreur diplomatique et morale de nous livrer à une politique de dog in the manger (du chien qui se met dans la mangeoire du cheval pour l’empêcher de manger) à l’égard des autres. »

L’Angleterre avait un intérêt majeur à ce que la question du Maroc, à cause de sa position à l’entrée de la Méditerranée,