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Nous avons fait ici[1] l’histoire de cette crise de Bosnie qui remplit l’automne et l’hiver de 1908-1909. Il nous suffira de caractériser les répercussions qu’elle a eues sur les relations franco-allemandes. Depuis 1912 jusqu’à 1912, la politique européenne ne demeure pas une seule année sans conflit diplomatique ; le décor et le scénario varient, mais les acteurs restent les mêmes et font les mêmes gestes : ce sont les épisodes d’un drame qui se présente sous des formes diverses, mais dont le sujet ne change pas : la rivalité de l’Angleterre et de l’Allemagne et l’opposition de l’Allemagne et de la France en forment la trame. Dans la première phase, l’Allemagne engage un conflit sur le terrain marocain où la France est très forte ; elle est obligée de reculer. Dans la crise qui suit l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, au contraire, c’est l’Angleterre, la Russie et la France qui s’engagent trop à fond sur une question résolue d’avance. La Russie déclare dès l’origine qu’elle n’ira pas jusqu’à la guerre ; dès lors, elle se trouve désarmée. La crise se termine, sur une pression menaçante de l’Allemagne, par la retraite de la Russie et de la Triple Entente. C’est la revanche d’Algésiras.

La question marocaine subit le contre-coup de tous les incidens qui surgissent entre les deux groupes d’alliance. Tantôt elle passe au premier plan, comme au moment d’Algésiras, et l’Allemagne crée au Maroc des difficultés à la pénétration française ; tantôt au contraire, le Maroc apparaît à l’Allemagne comme un poids inutile qui alourdit sa politique pour un bénéfice très incertain. Après la crise aiguë d’Algésiras, il était apparu tout de suite que les stipulations de la Conférence, résultat de compromis péniblement élaborés et de concessions réciproques minutieusement dosées, seraient, dans la pratique, difficilement applicables. Le seul moyen d’exécuter l’Acte d’Algésiras dans son esprit était de ne pas l’exécuter dans sa lettre. Les incidens se multipliaient au Maroc, l’excitation contre les étrangers y grandissait, les assassinats d’Européens y devenaient fréquens, et il était évident qu’il en serait ainsi, tant que personne ne serait chargé d’y rétablir l’ordre. Le meurtre du docteur Mau champ à Marrakech (19 mars 1907) amenait l’occupation d’Oudjda par le général Lyautey. Le roghi menaçait Fez ; Raïssouli se créait une demi-indépendance dans

  1. Voyez la Revue des 15 décembre 1908 et 15 juin 1909. Voyez aussi notre livre : l’Europe et la Jeune-Turquie (Perrin, in-8).