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la Reine a la meilleure opinion et qu’elle considère le plus. » Le témoignage personnel de la Reine vient pleinement confirmer cette appréciation. Dès le lendemain des premières réductions demandées par Necker, « le Roi, écrit Marie-Antoinette à sa mère, vient de donner un édit qui n’est qu’une préparation à la réforme qu’il veut faire dans sa Maison et la mienne. Si elle s’exécute, ce sera un grand bien, non seulement pour l’économie, mais encore pour l’opinion et la satisfaction publiques. Il faut attendre les effets pour pouvoir y compter ; on l’a tentée sans succès sous les deux derniers règnes. » Un mois plus tard, les suppressions déjà réalisées, elle s’exprime en ces termes, dans une lettre à Mercy : « Comme vous vous trouvez quelquefois avec les Necker, et que j’ai très bonne opinion des talens de M. Necker, je vous autorise à le lui faire connaître, en ajoutant que c’est toujours avec plaisir que je lis les nouvelles de ses opérations de finance[1]. »

Dix ans après sa retraite du pouvoir, dans une note tout intime, écrite, semble-t-il, pour lui-même, où il résume en quelques mots sa carrière politique pendant son premier ministère, Necker caractérise ainsi les obstacles comme les appuis qu’il a rencontrés en haut lieu et rend ce juste hommage à la bonne volonté de la Reine et du Roi : « Je trouvais, écrit-il[2], quelque courage auprès du Roi. Jeune et vertueux, il pouvait et voulait tout entendre. La Reine aussi m’écoutait favorablement. Mais, autour de Leurs Majestés, à la Cour, à la ville, à combien d’inimitiés et de haines ne me suis-je pas exposé ! C’étaient toutes les factions de l’intérêt particulier que j’avais à combattre et, dans cette lutte continuelle, je risquais à tout moment ma fragile existence. »


IV

L’instigateur secret, sinon le chef avoué, de la lutte incessante ainsi dénoncée par Necker est «. le ministre principal, » le conseiller intime du Roi, le vieux comte de Maurepas lui-même, c’est un point sur lequel il n’existe aucun doute. Plus jaloux du pouvoir à mesure qu’il avance en âge, le Mentor n’a pu voir

  1. Lettres des 15 février et 3 mars 1780. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Note écrite en 1791, et citée par Auguste de Staël dans une notice sur son grand-père, mise en tête des Œuvres complètes de Necker.