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chez l’abbé de La Rochefoucauld (1642), y reste quatre ans, puis passe au service du prince de Marsillac, le futur auteur des Maximes. Il s’y instruit un peu et gagne la confiance de son maître qui, ayant acheté le gouvernement de Poitou, en fait son secrétaire.

En cette qualité, bien qu’il porte toujours la livrée, — une casaque rouge à galons d’argent, — il est à même de cueillir de jolis pourboires. Il suggère par exemple à Marsillac, pressé d’argent, de solliciter du surintendant d’Émery (1649) un passeport pour faire sortir du Poitou 800 tonneaux de blé, — la sortie des blés était alors interdite, — et, chargé de présenter la requête au surintendant, « je lui demandai, raconte-t-il, s’il ne trouverait pas mauvais d’en ajouter 200 pour moi, afin que je pusse en avoir le profit. En souriant, il me dit qu’il le voulait bien. » Aussitôt il prend la poste pour Niort et vend à des marchands ce permis d’exportation 45 000 francs. Il en garde pour lui 9 000, d’accord avec son maître et, comme ce dernier est toujours besogneux, il finit, avec une générosité diplomatique, par les lui prêter. Héraut est jeté naturellement dans la Fronde, tantôt lieutenant d’une compagnie de bourgeois du faubourg Saint-Antoine, commandée par un charcutier, tantôt détroussant à main armée le percepteur des tailles de l’Angoumois, qu’il dépouille de 20 000 francs pour le compte des princes. Comme eux, il sert successivement tous les partis, est apprécié, s’avance et, pour avoir moyenne la soumission de Bordeaux (1654), reçoit de Mazarin une pension de 19 000 francs sur des bénéfices ecclésiastiques.

Dès lors l’ancien valet fait peau neuve et devient seigneur de Gourville, du nom d’une terre qu’il vient d’acquérir. Il loue « un appartement assez honnête » dans le petit hôtel de Bourbon, achète un carrosse et des chevaux pour son service et, pour le service du Roi, il achète des conseillers au Parlement, les « meneurs des Chambres, » à prix variés, afin de faire passer les édits de Fouquet, son nouveau patron : 5 000 francs de gratification « avec la promesse d’autant aux étrennes, » étaient le tarif des consciences ordinaires. Les présidens à mortier sont plus chers : à Le Coigneux, « pour l’aider à achever une terrasse usa maison de campagne, » Gourville porte 20 000 francs en lui faisant espérer « que cela aurait de la suite. »

Comment un homme si bien lancé peut-il être mis à la Bastille ?