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Et cet autre de Sarcey, si amusant de verve malicieuse :


Je m’empare d’une phrase de Beaumarchais, dont je change quelques mots et dont je garde le rythme : « Un homme gros, gris, rond, bon, toujours allègre et de belle humeur. » Tel on se représente M. Francisque Sarcey, et tel il est en effet... Il n’est pas un article de Sarcey où Sarcey ne soit reconnaissable à l’accent, je dirai presque au geste, et qui ne sente en plein son Sarcey... On le voit, on l’entend : il se conjouit dans sa barbe, il vous appelle « mon ami, » il va vous taper sur le ventre... M. Sarcey est comme qui dirait le bonhomme Richard de la presse contemporaine... M. Francisque Sarcey sera, si vous voulez, quelque chose comme un gros neveu sanguin du maigre et nerveux Voltaire, neveu très posthume et né en pleine Beauce...

« Enfin Francisque vint. » Il vint du fond de sa province, attiré par About, comme un Caliban de collège par un Prospère de boulevard... Il vint armé de bon sens, de patience ; de franchise et de bonne humeur ; professeur dans l’âme, consciencieux, appliqué, décidé à n’écrire que pour dire quelque chose ; non pas naïf, mais un peu dépaysé parmi la légèreté et l’ironie parisienne. Déconcerté, non pas...


Notez que cet écrivain qui sait si plaisamment railler et si finement sourire, sait aussi, quand il le faut, être éloquent, et manier la grande période oratoire :


Le jour où, acculé contre une petite porte de l’Hôtel de Ville, monté sur une chaise de paille, visé par des canons de fusils, la pointe des sabres lui piquant les mains et le forçant à relever le menton, gesticulant d’un bras, tandis que de l’autre il serrait sur sa poitrine un homme du peuple un loqueteux qui fondait en larmes, — le jour où, tenant seul tête à la populace aveugle et irrésistible comme un élément, il l’arrêta, — avec des mots, — et fit tomber le drapeau rouge des mains de l’émeute, — la fable d’Orphée devint une réalité, et Lamartine fut aussi grand qu’il ait jamais été donné à un homme de l’être en ses jours périssables.


Et vous ne vous plaindrez pas de lire cette page étonnante :


Quand j’entends déclamer sur l’amour de la patrie, je reste froid, je renfonce mon amour en moi-même avec jalousie pour le dérober aux banalités de la rhétorique qui en feraient je ne sais quoi de faux, de vide, et de convenu. Mais quand, dans un salon familier, je sens et reconnais la France à l’agrément de la conversation, à l’indulgence des mœurs, à je ne sais quelle générosité légère, à la grâce des visages féminins ; quand je traverse, au soleil couchant, l’harmonieux et noble paysage des Champs-Elysées ; quand je lis quelque livre subtil d’un de mes compatriotes, où je