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Sur Regnard : « Regnard mourut d’indigestion. Cela peut arriver à tout le monde ; mais il en est pour qui cette fin paraît logique. » « Confrérie bien endentée et peu pensante, » voici, en deux mots, croquée toute une classe d’épicuriens. Sur les ingénuités d’Agnès : « Trait d’innocence en deçà de la rampe, polissonnerie au delà » Sur un personnage de Dancourt : « C’est comme qui dirait un René de la Régence, c’est-à-dire non encore tourmenté par l’infini, et peu sensible aux clairs de lune. » Sentez-vous, à tous ces traits, un esprit très libre et très ouvert, non seulement aux livres, mais à la vie, un esprit nullement livresque, pour tout dire, et qui, déjà, a fait le tour de bien des choses ? Avec cela, il est modeste, et s’il s’aventure aux idées générales, il veut d’abord n’en être point dupe : « Il est trop facile, sans doute, d’interpréter l’histoire après coup, et les choses se seraient passées autrement qu’on les expliquerait encore ; on croit voir pourtant… » Et enfin, parmi tant de pages brillantes ou charmantes, et dont la moindre décèle l’écrivain de race, comment ne pas citer ces lignes finales, où le goût décidé des « coteaux modérés » transparaît d’une manière si curieuse ?


N’est-ce pas d’ailleurs une bonne action de rechercher dans le passé ces écrivains parfois si « intelligens » du second ordre, ceux qui sont presque oubliés, dont on ne sait plus que le nom, qui ne peuvent espérer d’être lus du grand nombre, et pour qui un lecteur consciencieux et qui va jusqu’au bout est une rare fortune ? Nous sentons qu’ils nous doivent quelque chose, qu’ils nous savent bon gré de ranimer un instant leur immortalité incertaine ; et que, s’ils ont pu rêver mieux de leur vivant, plus modestes après leur mort, ils sont tout heureux que leur œuvre terrestre leur fasse encore, après un siècle d’oubli grandissant, ne fût-ce qu’un ami !


Évidemment, l’homme qui écrit ainsi a, je ne dis pas mieux, mais autre chose à faire qu’à fabriquer des bacheliers, bien qu’il ait déclaré « ce métier fort amusant. » En 1880, il avait quitté l’enseignement secondaire pour l’enseignement supérieur, celui qui ressemble, ou devrait ressembler le plus au métier d’homme de lettres. Mais il n’y a pas en France d’enseignement supérieur : nos Facultés ne sont plus que des usines où maîtres et élèves se préparent à ce baccalauréat à peine perfectionné qui s’appelle l’agrégation. On peut se lasser de cet exercice, surtout quand on a « écrit dans les journaux, » et qu’on a pris goût à cela. Après quatre années d’enseignement de la littérature