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ce qui, dans l’art et la pensée de Renan, a enchanté deux ou trois générations de lecteurs : voilà, en vertu d’une secrète harmonie préétablie, les deux principales influences qu’a subies l’auteur des Contemporains, voilà les deux vrais maîtres de son esprit. Et c’est peut-être en lisant le poète de la Vie de Jésus, « le plus cher de ses maîtres intellectuels, » que le poète des Médaillons a senti s’évaporer, non sans regrets peut-être, non sans de furtifs retours nostalgiques, cette foi chrétienne qui fut celle de son cher Veuillot, et dont il n’a jamais, pour sa part, méconnu le charme profond et la haute vertu moralisatrice.


II


Un poète inédit, dont nul ne sait les rimes,
Souffre en mon cœur étroit, médite sous mon front.
J’ai des songes, parfois, qui me semblent sublimes,
Et des chagrins obscurs qui me semblent sans fond...

Ma langue balbutie, inégale à mes rêves,.
Et jamais leur beauté n’aura fleuri qu’en moi.
Mon objet est trop haut pour mes forces trop brèves,
Et le souffle me manque, et peut-être la foi...

Donc, je veux oublier cet intime poète
Si vague et si caché que seul, hélas ! j’y crois ;
Et, ce labeur usant ma souffrance inquiète,
Je lime des sonnets ingénieux et froids.


« Ingénieux, » oui, certes ; mais « froids, » oh ! que non pas ! « Froids » a été mis ici pour la rime ; et M. Jules Lemaître a eu ce jour-là la rime trop modeste, et même impropre. S’il y a quelque jeu dans ses vers, il n’y a pas que cela. En plus d’un endroit, il me semble bien y percevoir l’écho assez direct d’une émotion sincère ou d’une réelle souffrance : je souhaiterais, par exemple, pour le poète, que tout fût pure imagination dans la suite de pièces qui sont intitulées Une méprise. Et assurément, quand il chante « le Ru » ou « le petit vin de chez nous, » quand il nous décrit avec orgueil


La Loire lente, honneur du vieux pays gaulois ;


quand, « perdu dans la splendeur hostile » de l’Orient africain, il aspire de toutes les forces de son âme à la « douce terre natale, »