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écrit à la même date : « Les abus de la perception sont immenses, et si M. Necker parvient à les réformer, il fera un grand chef-d’œuvre ! Il s’y prend très bien, mais il faut que le Maurepas le soutienne, et voilà ce qui est bien scabreux[1] ! »

L’état-major de l’armée financière se divisait en deux sections distinctes : d’une part, les fermiers généraux, qui affermaient les impôts indirects pour une somme fixée à l’avance, se partageant entre eux le surplus de l’argent provenant des contribuables ; les receveurs généraux, d’autre part, préposés aux impôts directs, qu’ils percevaient pour le compte de l’État. Les uns et les autres, d’ailleurs, se tenaient étroitement entre eux, se reconnaissaient solidaires, se regardaient enfin comme membres de la même famille. Il fallait de l’audace pour s’attaquer à cette double puissance, devant laquelle avaient tremblé tant de contrôleurs généraux. Cette centaine d’hommes, unis, ligués par l’intérêt commun, tenaient entre leurs mains la fortune du royaume.

Les fermiers généraux, « rois plébéiens, » comme les nommait Voltaire, rois dont chacun tirait de ses sujets un revenu annuel de 300 000 livres environ, étaient au nombre de soixante. Le premier acte de Necker, lorsqu’il dut renouveler leur bail, fut de les réduire à quarante. De plus, en évaluant le produit normal des impôts à 126 millions de livres, il décida que l’excédent serait partagé par moitié entre l’Etat et les fermiers, transformés de ce fait en régisseurs intéressés. Par une juste compensation, il les libérait en partie du lourd et scandaleux fardeau dont on les chargeait d’ordinaire à chaque renouvellement : il modéra l’usage des croupes, si fort en honneur pendant tout le XVIIIe siècle. On entendait par là les parts secrètement réservées dans les bénéfices des fermiers et attribuées à de hauts personnages, grands seigneurs ou belles dames, totalement étrangers aux affaires de finance, auxquels le Roi constituait à bon compte, et sans bourse délier, une rente quelquefois assez forte au détriment du Trésor de l’Etat. Necker, par deux arrêtés successifs, défendit pour l’avenir tout trafic de ce genre. Toutefois, fidèle à son système de respecter avec scrupule les engagemens passés, il laissait subsister jusqu’à l’expiration du bail les croupes anciennement consenties. Il put, par ce tempérament,

  1. Lettre du 13 juillet 1777 à Horace Walpole. (Correspondance générale de Mme du Deffand.)