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que ce qu’on a une fois appris ne doit plus être oublié. Nous dénonçons le double mensonge usité dans les écoles, savoir : que le maître a enseigné parce qu’il a parlé, et que l’élève a appris parce qu’il a entendu parler.

On se garde bien de présenter à nos pupilles Chilpéric ou Ptolémée, ou Salomon, « en l’air, » je veux dire sans que ces considérables personnages soient pour eux situés dans le temps, situés aussi formellement que sont, pour eux deux, situés dans l’espace Londres et Paris, c’est-à-dire à des distances dont ils aient une idée pratique, concrète. Le premier enseignement d’histoire fut donc de développer en eux la notion chronologique, la notion du temps. Prenez le plus fort en histoire d’une classe de sixième dans une école : il aura peut-être amassé dans sa tête un certain nombre de noms et d’événemens ; mais la concordance ou l’écart de ces événemens lui échapperont presque toujours. Nous avons développé chez nos élèves la notion chronologique. De même qu’aucune allusion géographique n’est proférée sans se rapporter à la mappemonde, aucun fait historique n’est énoncé sans qu’on le classe aussitôt dans un tableau séculaire de l’histoire, établi sans autre date que l’énumération des siècles… Bien faire comprendre cette simple division séculaire de l’histoire ne fut pas chose aisée. Nous appliquâmes la méthode de « l’enfant, centre de tout enseignement » qui nous est familière :

« — Pierre, tu as sept ans… Noël, le frère de Simone, en a douze… Sylvie en a quinze… Mlle Morisset en a vingt-deux… Mme Galtié en a trente-cinq… Ton grand-papa en a soixante-douze… » Premier exercice ou l’arithmétique prépare la chronologie : des lignes furent tracées sur le papier, proportionnellement à ces âges divers. Nous fîmes alors une excursion, tout exprès, pour visiter certain centenaire berrichon, le père Michel Thivrier, hospitalisé à Bourges. Dès lors, ayant vu, touché ce siècle vivant, ayant conversé avec lui, nous pûmes parler de l’espace séculaire, sans que ce fût prononcer de vaines et vides syllabes. Pierre et Simone comprirent aisément que toute cette histoire du monde qu’on allait leur enseigner, tenait en quelques vies humaines superposées ; fort peu de vies en somme, une soixantaine de Michel Thivrier bout à bout, quarante Thivrier avant Jésus-Christ, vingt après. Ce qu’un tableau schématique, dressé pour cet usage, fixa aussitôt dans leur mémoire.