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une méthode qu’elles ont bien comprise, l’ayant trouvée claire et simple, et qui les émerveille par ses résultats. Cette méthode, Françoise, vous la connaissez : j’en ai discuté avec vous les principes dès l’époque où, attendant la venue de Françoise II, vous passiez des heures méditatives sur votre chaise longue. Elle a consisté, jusqu’à l’âge de sept ans, à n’user avec Pierre et Simone que de l’enseignement oral, sans ouvrir un livre ; à leur faire connaître le monde extérieur, non pas en les laissant expérimenter au hasard, comme l’Émile de Rousseau, mais en guidant soigneusement leurs expériences progressives ; à ne rien leur apprendre « en l’air, » c’est-à-dire rien qui ne fût relié par une chaîne continue de notions précises à leur chétive personne ; à leur inculquer l’ordre et la discipline dans l’effort ; à leur faire comprendre et parler aussi parfaitement que leur âge le comportait, non pas l’anglais ou l’allemand des bonnes, mais le français pur et correct des gens cultivés. Tout baragouinage de langue étrangère fut donc soigneusement exclu : à l’heure où la nécessité première est que l’enfant comprenne les choses, il est imbécile de compliquer le mode d’échange de ses pensées.

L’âge de sept ans accompli (il fallut bien se fixer une date, encore que celle-ci n’ait rien d’absolu, et puisse varier suivant les sujets), nous avons admis que « l’enfance de l’enfance » avait pris fin pour Pierre et Simone ; qu’il était temps d’agrandir leur domaine intellectuel et moral… Nous leur fîmes donc franchir le seuil redoutable du Livre ; redoutable, car le livre interpose comme un écran entre les yeux de l’enfant et la vie ; malheur aux enfans de qui cet écran offusqua la vue avant qu’ils n’eussent amassé, par l’expérience directe de leurs sens, un humble trésor de réalités ! Comme Pierre et Simone étaient entraînés à une méthode de travail régulier, comme d’ailleurs ils savaient très bien la plupart des mots et des tournures de leur langue, ils ont appris à lire en trois mois et à écrire en même temps, grâce au procédé simple qui consiste à leur enseigner à lire, d’abord, sur les caractères bien dessinés de l’écriture manuscrite. Dès lors, le livre fut admis comme procédé de culture ; un tout petit livre, très facile, très court pour chaque science, mais qui déjà contienne tout en germe, et dans le cadre duquel les développemens successifs puissent venir se loger peu à peu, au cours des années. « Il faut, vous disais-je,