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Pierre et Simone n’ont que huit ans ; nous les élevons de notre mieux ; mais ils respireront l’air ambiant, et quand eux-mêmes atteindront l’âge ingrat, nous ne les gouvernerons pas par des « Sic volo, sic jubeo… » Pour les garder dociles, il faudra les convaincre. Entraînons-les donc dès maintenant à aimer, à vouloir la discipline, en leur montrant qu’elle est une forme de l’ordre, de l’ordre que nous leur avons appris à goûter. Rabattons aussi dès maintenant leur petite superbe puérile, en leur faisant constater sans relâche leur ignorance, leur infériorité physique et intellectuelle. Evitons de nous déprécier nous-même à leurs yeux ; ne leur disons pas : « Nous ne fûmes rien et vous êtes tout. » Ne leur donnons pas surtout la sensation que nous ne comptons plus et que toute la maison ne vit que pour eux. D’abord, parce que c’est un régime immoral et absurde. Et puis, parce que cela ferait une génération de jeunes nigauds, croyant tout savoir sans avoir rien appris, tout dominer sans y avoir nul droit, — et à qui la vie ménagerait de dures ripostes.


LETTRE II


Ambleuse, 3 septembre.

J’ai consacré, chère Françoise, ma matinée d’aujourd’hui à mes pupilles, votre fils Pierre et sa cousine Simone.

Quand j’arrivai à Rein-du-Bois, vers neuf heures et demie, par un de ces temps de fin d’été où l’air sent le fruit et où l’on respire de la lumière, les gens de votre belle-sœur commençaient ce quotidien branle-bas qu’ils appellent, bien à contre-sens, le ménage. Je reçus un coup de plumeau sur mon feutre ; une brosse à parquets, s’échappant d’un pied qui cirait avec une aveugle rage, vint me heurter la cheville ; je trébuchai dans un service à thé oublié sur une marche de l’escalier ; néanmoins, j’atteignis à peu près sain et sauf la région plus paisible gouvernée par Mme Galtié et Mlle Morisset, institutrices l’une de Pierre, l’autre de Simone, et je pénétrai dans la salle d’études où les deux enfans travaillaient.

Depuis des mois, je n’ai plus à intervenir dans l’enseignement de Mlle Galtié et de Mlle Morisset ; elles appliquent consciencieusement