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Le prêtre ébauchait une contradiction. « Peu importe ! interrompait Bismarck. Voici ce que je sais bien : il ne faut jamais refuser à un peuple la satisfaction de la conscience. Il n’y a qu’un cinquième de l’Empire qui soit catholique, mais parce qu’il n’a pas la satisfaction de la conscience, ce cinquième m’a donné plus d’ennuis et de soucis que toutes les affaires de l’Europe. Aussi je veux la paix. » Il prétendait qu’elle se serait faite si le cardinal Franchi avait vécu quinze jours de plus, et il se plaignait du cardinal Nina, qui laissait tout traîner, du cardinal Nina, qui ne comprenait pas que Rome, pour traiter, devait profiter de l’instant où les conservateurs en Prusse reprenaient la prépondérance. Supprimer les lois, c’était impossible. « Les lois, on ne les supprime pas, expliquait-il, on les laisse tomber en désuétude. Nina dit : Le Parlement fait tout ce que veut Bismarck, c’est vrai. Mais c’est parce que Bismarck ne demande rien quand il aurait des chances d’être battu. » Il voyait une solution : revenir à l’état de choses qui existait en 1848. Les catholiques alors s’en étaient bien contentés ; pourquoi Nina ne s’en contenterait-il pas ? Ainsi mêlait-il les regrets et les ouvertures, les accusations et les avances, et sur ses lèvres, à plusieurs reprises, survenait un mot étrangement imprévu : Je veux un concordat. Il disait qu’on pourrait aboucher des commissaires et qu’ensemble ils étudieraient les concordats existans, article par article ; chacun d’eux inscrirait, en marge, ses observations ; ils discuteraient entre eux les points controversés, et la Prusse ne demanderait rien à Rome qui ne fût déjà dans d’autres concordats. Bref, il déclarait qu’il écouterait Jacobini, mais qu’il fallait aboutir.

Deux jours après, fort tard dans la soirée, Jacobini arrivait à Gastein, et dès le lendemain matin, 15 septembre, il apprenait, par le prélat français, les propos de Bismarck. Entre le nonce et le chancelier commencèrent tout de suite les longs entretiens : la princesse de Bismarck s’en inquiétait. « J’ai hâte, disait-elle, que ce Mgr Jacobini parte : depuis qu’il est ici, le prince ne dort plus, il est très nerveux. » Les deux représentans de l’Église et de l’Empire se quittèrent le 19, le jour même où Léon XIII, à Rome, créait cardinal le nonce Jacobini ; ils se revirent à Vienne, le 23 ; Bismarck, se rendant en personne à la nonciature, y fit une longue visite à son interlocuteur de Gastein. (Jue se disaient-ils, durant ces heures