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« ultramontaine, » pour satisfaire aux besoins religieux de plusieurs millions de catholiques ; pouvait-on lui marchander la possibilité de vivre ? L’immoralité montait, dans le royaume et dans l’Empire ; la jeunesse était contaminée ; un opuscule retentissant propageait, au sujet de l’état moral des gymnases, quelques vérités très dures. On avait sous la main, proche de soi, une grande éducatrice de consciences, l’Eglise catholique, exaltée et purifiée par la persécution, et l’on continuait à la décimer, à l’anémier. On redoutait l’ascension du matérialisme, et c’est contre le Centre qu’on guerroyait ; on lui faisait un crime de représenter les intérêts religieux, au lieu d’observer, avec le publiciste protestant Constantin Franz, que le Centre, par cela même, élevait précisément une digue contre les philosophies subversives. On commençait de se rendre compte que dans cette Allemagne nouvelle, laborieuse et somptueuse parvenue, engouée de sa force militaire, engouée de sa prospérité industrielle, quelque chose manquait aux âmes ; que le Culturkampf, également nuisible aux deux confessions chrétiennes, avait favorisé dans l’Eglise évangélique certains courans de négation ; que la vie spirituelle du peuple allemand se tarissait dans ses sources vives, et qu’à la faveur de cette disette morale, l’idéal exclusivement terrestre du socialisme révolutionnaire s’acclimatait dans les foules ; on avouait même, dans les Grenzboten, que la politique du Culturkampf avait été une politique à courte vue, et que l’Etat avait besoin de certaines racines spirituelles ; mais, au jour le jour, on laissait arracher quelques-unes de ces racines, par le seul fait de l’application des lois de Mai ; et l’on permettait, au jour le jour, que toute paroisse prussienne dont le curé mourait devînt une paroisse où la lampe du tabernacle s’éteignait. Ainsi s’étendaient les misères, ainsi s’accumulaient les ruines ; et sur ces décombres spirituels planait la monarchie prussienne, toute fière assurément que la raison d’Etat fût invaincue ; mais en même temps qu’elle, avec elle, en elle et chez elle, c’était le matérialisme vainqueur qui se levait, et qui aspirait à régner.

Le Culturkampf n’avait presque plus de partisans : ceux qui n’osaient pas réclamer la paix, de peur qu’elle ne s’appelât Canossa, condamnaient du moins les méthodes de guerre. « Tout le monde comprend, déclarait le comte d’Arnim, que le Culturkampf a grandi l’influence du Pape sur la masse catholique,