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STÉPHANIE. 501

ce qu’il nomme « la duperie des beaux sentimens. » Toutefois ces leçons de scepticisme et de cynisme peuvent-elles influencer une petite pensionnaire au point de la métamorphoser en une M"’ de Maintenon experte dans l’art de circonvenir la prudence des messieurs ? J’en doute.

Depuis l’arrivée de Félix Reynart, au reste, M’" Clermont ne cache pas que ce pantin la divertit. Les charges d’atelier dont il égayé nos soirs semblent fort appréciées par Stéphanie. Elle ne peut contenir son hilarité. Ses yeux dansent. Elle oublie la dentelle qu’elle raccommode pour voir le rapin imiter à la perfection les deux lions, le tigre, la panthère, l’ours, le dompteur et même la cage. Il faut l’avouer, dès que Félix consent à laisser là ses mépris de révolutionnaire intègre pour redevenir un joyeux garçon, il nous divertit beaucoup. Il lui arrive de pousser ud peu loin la plaisanterie. Les jeunes filles rougissent... Elles baissent les yeux un instant, puis éclatent de rire, et se sauvent honteuses. Thérèse se fâche. Robert déplore, chez son cousin, cette absence de discipline morale si nécessaire à une époque de dissolution et d’anarchie. Il commente un article de M. Paul Bourget, sans omettre les trois coups d’échecs qui me font mat et me coûtent cinq francs.

Félix prend ses fusains, son album. De chacun il esquisse une caricature. Stéphanie revenue, avec les deux cousines, est la première à s’extasier. Craint-elle de me rendre jaloux ? Elle s’en moque bien. Où sont alors ses calculs machiavéliques, ceux de son père ? Pure invention d’Emilie, de Thérèse et de Maria.

Chose humiliante, je m’attriste à l’aspect de ce désintéressement. Que Stéphanie ne cherche point à m’épouser, fût-ce pour mon argent, cela navre ma vanité. Un Félix, demain, la séduira, l’emmènera. À cette idée, une peine enfle dans ma poitrine, grandit, m’étouffe, s’exhale en un soupir.

Jai ressenti le même émoi devant toutes femmes, ou filles qui parurent dans mon entourage. Je les ai toutes aimées, si l’on peut ainsi nommer cette sorte d’aspiration à l’intimité sentimentale que me valent même une passante et son parfum. À la suivre dix pas, je m’imagine aussitôt la félicité d’un voyage en mer, accoudé près d’elle sur le bordage, pour admirer ensemble le port de Corfou, les cyprès droits dans l’azur, la forteresse byzantine évocatrice des siècles, de leurs passions humaines,