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Cela se passe dans le château d’un certain Miran-Charville qui est puissamment riche et d’une sottise égale à sa richesse. Incapable, au point de ne pas comprendre même une lettre qu’on lui apporte à signer, il a, plus que personne, besoin d’un secrétaire qui le supplée. C’est en cette qualité que le jeune Robert Levaltier va entrer chez lui. On sait combien cette situation de secrétaire a été de tout temps propice aux chercheurs d’aventures, Et, à entendre la confession de Robert Levaltier, nous ne pouvons guère douter qu’il n’ait les plus ambitieux desseins. « Fais comme moi, lui a dit le vieux Bourgeot qu’il remplace. Sois laborieux et économe. Et dans vingt-cinq ans, tu te retireras avec trois mille francs de revenu assuré. » Cette perspective ne le séduit aucunement. Il n’a pas une mentalité de petit rentier ; la médiocrité ne saurait le contenter : c’est un poète, mais comme on l’est dans une époque et dans une génération à l’esprit éminemment positif. Dans les années fiévreuses de l’adolescence, il n’a pas rêvé aux étoiles ; il n’a pas, sur les marches des palais, regardé passer des duchesses ; il ne fait pas de vers. Mais il a déjà fait des affaires : il a roulé sa bosse dans plusieurs parties du monde et fréquenté une assez mauvaise société, ce qui est indispensable pour parfaire une bonne éducation. Ainsi muni d’expérience précoce et de sens pratique, connaissant la vie et comprenant son époque, il est bien décidé à se conquérir une large place au soleil. Vous me direz : « Bel-Ami est un arriviste. Robert Levaltier en est un autre. « Si vous voulez ; mais ce n’est pas d’arriver, ou de vouloir arriver, qu’on peut faire reproche à un homme. Tout dépend de la manière. Et Robert Levaltier est un personnage sympathique : il a une très belle âme. Seulement c’est une belle âme à la mode de 1912. Pas de sensiblerie, pas de pleurnicherie, pas de langueurs. Noblesse et énergie. Une âpre combativité au service d’une conscience scrupuleuse. L’intérieur des Miran-Charville s’offre à lui comme un magnifique terrain d’opérations.

Il y arrive à un moment décisif. Une machination effroyable est à la veille d’aboutir. La victime en sera, comme vous pensez bien, une exquise jeune fille : Hélène. Celle-ci, affligée qu’elle est d’un tas de millions, se méfie des coureurs de dot, et pour cause. Elle ne consentira à se marier que si elle rencontre un homme riche lui aussi, ayant une grande situation et déjà éprouvé par la vie. Elle le rencontre : c’est le baron Houzier, veuf, encore jeune, qui a souffert et qui serait pour une femme un compagnon de tout repos. Nous sentons bien qu’une inclination grandissante l’attire vers ce gentleman si différent