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MULHOUSE.

Ce qui caractérise Mulhouse, on le voit, c’est tout de suite qu’elle veut être et demeurer uniquement Mulhouse. Alsacienne, elle a d’abord obtenu ses libertés de l’Empire et profité de la faiblesse de l’Empire pour s’instituer petit État indépendant. Quand elle comprend qu’elle ne peut, au milieu de tant d’ennemis, garder toute seule cette précieuse indépendance, elle s’unit à la Suisse, parce que la forme politique de la Suisse lui permet d’entrer dans la Confédération, sans s’y fondre, en conservant son autonomie, et que de plus elle trouve chez ses voisins des lois, des mœurs, des usages pareils aux siens. Je ne crois pas qu’il ait jamais existé des bourgeois aussi violemment attachés à leur petite ville : Mulhouse, pour eux, c’est tout l’univers ; ils ne désirent qu’être Mulhousiens et ils ne s’efforcent qu’à cela. Et ce caractère persiste encore aujourd’hui. La Réforme religieuse pourra apporter dans la cité une guerre civile sanglante, les exils, les délations, les supplices, la rupture avec les cantons suisses catholiques, et pousser la maison d’Autriche à tenter de l’assujettir de nouveau : dans ce terrible désarroi, les Mulhousiens n’oublieront pas un moment de préserver leur indépendance. Quelle habileté et quelle énergie ils durent y employer ! La France d’ailleurs les y aida ; et quand, après les horreurs de la guerre de Trente ans, l’Alsace lui fut cédée, non seulement elle reconnut Mulhouse État libre et partie intégrante de la Confédération helvétique, mais elle s’attacha à lui témoigner une continuelle bienveillance. Si le Roi venait en Alsace, il recevait avec les plus grands égards les députés de Mulhouse ; si les députés de Mulhouse pour quelque occasion solennelle venaient à Paris, ils étaient entourés d’honneurs. Fidèles au traité, les Mulhousiens, participant aux guerres du royaume, versaient généreusement leur sang pour la France. Ainsi le présent préparait l’avenir.

Ce serait ignorer le naturel alsacien que d’imaginer qu’en des temps si bouleversés la vie fut cependant misérable. Comme les Mulhousiens habitaient une terre féconde, ils aimaient tout ce qu’elle produisait d’excellent. À Mulhouse, on vivait bien[1]. Et tout d’abord, la cuisine y était en grand honneur. Montaigne, qui traversa Mulhouse, écrit que les Mulhousiens ont plus de soucis de leurs dîners que de tout le reste et qu’ils sont excel-

  1. Le vieux Mulhouse à table. Imprimerie Bader, 1875, par Auguste Klenek.