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quand les torrens de la Judée ne seront plus que lait et que miel, quand le Fils de l’Etoile apparaîtra, triomphant et vengeur — alors, vous autres Gentils, vous autres impurs, vous autres chrétiens, vous autres goïms, vous autres canailles, vous viendrez baiser les savates des oncles Mardochée !

Il tira de sa houppelande une lettre qu’il avait apportée, la jeta dans le jardin, puis achevant d’égorger sa victime :

— Voici ton congé en règle, Marcellus !... Vous, monsieur, dont j’ignore le nom, mais qui savez si bien outrager les vieillards, je vous laisse au spectacle des pleurs et des grincemens de dents. Je m’ébaudis d’avance, en pensant aux lâchetés que vous allez entendre.

Il demeura quelques momens à nous regarder, bravant ces chrétiens abhorrés qu’il venait de réduire au silence. Enfin, ayant consommé l’holocauste, insolent et majestueux, le sacrificateur sortit à pas lents. Il proférait maintes imprécations et, s’éloignant, maudissait encore.


VIII — LES SANGLOTS DE Mlle DIVA

Lautrem cependant avait ramassé la lettre, et, debout sous la lanterne à gaz, en prenait connaissance. Par instans, un rictus lui contractait le visage, des sifflemens entrecoupés de cris ironiques s’échappaient de ses lèvres :

— Lisez donc cette chose écœurante, fit-il en me tendant le papier... Egayez-vous, Blondel.

Il se laissa retomber sur un banc, renversa la tête, ferma les yeux, et je lus.

C’était, imprégnée de capiteuses odeurs, une assez longue épître que lui adressait Diva. Elle avait été impudemment composée dans le Palais des Glycines, car une vignette de la somptueuse habitation en décorait la première page :


« Marcel, mon Marcel ! Je vais sans doute faire couler vos larmes ; moi, je pleure en vous écrivant...

« L’amour qui contraint à l’amour toute créature aimée » — un vers admirable de Dante, que grâce à vos leçons j’ai bien su comprendre, — l’amour m’a commandé mon devoir. Vous êtes pauvre ; votre fiancée n’apporte en dot que sa misère, et je ne veux pas, ami, que ma misère rende plus pénible voire