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grecs, il commit pourtant ainsi la faute d’en méconnaître ce qui en est la réelle grandeur. Il crut avoir trouvé toute l’explication du verticalisme gothique dans une nécessité constructive, en le faisant provenir uniquement d’une obligation d’éclairage, ne voyant pas comment la pensée chrétienne était intervenue pour dresser les voûtes et les clochers, et construire si illogiquement des édifices tout en verre, à seule fin de les couvrir de peintures faites avec des rayons de soleil.

Et, en architecture, si l’on se refuse à s’en tenir au principe simpliste et brutal de la théorie de l’utilité constructive, c’est parce que l’on croit à un autre principe bien autrement juste et fécond, c’est parce que l’on pense, et ce fut la doctrine des architectes du XVIIe siècle, aussi bien que celle des maîtres gothiques, que l’architecture, comme tous les arts, n’a pas pour but essentiel et exclusif la réalisation de besoins utilitaires, mais qu’elle ne devient réellement un art que lorsque, s’élevant au-dessus des contingences, elle aspire à exprimer les plus grands désirs, les plus hautes aspirations de notre âme. L’architecture, qui commence par être le plus matériel des arts, peut s’élever jusqu’à en être le plus spiritualiste. Une église n’est vraiment une église que lorsqu’elle cesse de n’être qu’un abri, pour devenir un sanctuaire, et lorsque toutes ses pierres semblent n’être plus qu’une prière. Que nous importe qu’une façade exprime, comme le veut l’école utilitaire, les divisions intérieures de l’édifice ? Quel but mesquin comparé à celui qu’elle doit vraiment avoir et que lui ont donné tous les grands architectes, celui de dire hautement et dès le premier abord : c’est ici la maison de Dieu.

Un exemple nous montrera comment on peut être conduit à juger différemment une œuvre d’art selon la doctrine à laquelle on se rallie. Nombre d’écrivains ont été particulièrement sévères en parlant de la façade de Saint-Marc de Venise, et ils ont raison si l’on doit juger cette façade exclusivement au point de vue de la doctrine constructive. On n’y trouve rien en effet qui fasse pressentir les divisions intérieures ; sa silhouette est sans rapports avec celle de l’église, et aucune de ses parties ne se justifie par une utilité matérielle : tout chez elle est de l’inutilité constructive. Et c’est ce qui fait sa véritable beauté ; elle appartient tout entière au domaine des âmes. C’est comme un grand retable, un grand tableau d’autel, qui, dès l’abord.