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desquelles sont les célèbres statues assises des deux Pline. Je remarque qu’il y a partout abondance de statues ; les bords des fenêtres en sont eux-mêmes garnis ; on en compterait peut-être une centaine sur cette façade qui, à cause des vastes espaces plats, paraît au premier abord presque nue. Les détails d’architecture sont tantôt gothiques, tantôt renaissance ; rarement se voit mieux, matérialisée dans le marbre, la lutte des tendances qui se partagèrent le XVe siècle. Ces œuvres de transition ont d’ailleurs une simplicité et une vigueur d’accent qui témoignent d’un art jeune et sain. Sans doute, comme Taine le constate, des naïvetés, des imitations trop littérales des formes réelles indiquent un esprit qui n’a pas encore atteint tout son essor ; les cambrures exagérées, les chevelures surabondantes montrent les excès et la sève irrégulière de l’invention ; mais ce désir de rendre et d’exprimer la vie a, dans ses gaucheries, plus de séduction que bien des perfections trop savantes et trop froides. Du reste, ainsi que je l’ai noté déjà tant de fois, la sculpture lombarde est surtout ornementale et n’a pour but que de concourir à l’effet d’ensemble ; les artistes sont des décorateurs plus que des statuaires. On s’en rend encore mieux compte devant les deux portes qui s’ouvrent sur les côtés de la cathédrale. Celle du midi serait de Bramante ; bien qu’on l’ait contesté, il me semble qu’elle porte sa marque : l’ampleur du dessin, la sobriété des détails, la fermeté des lignes, la noblesse de l’ensemble sont en tout cas dignes du grand architecte. J’en ai une nouvelle confirmation en regardant l’autre porte, celle des frères Rodari, que l’on appelle généralement la Porta della Rana, à cause d’une grenouille sculptée dans l’un des piliers. On devine que les deux artistes lombards ont voulu faire mieux que le modèle dont ils s’inspiraient ; ils n’ont réussi qu’à faire plus riche et plus touffu, trop riche et trop touffu. Pourquoi, sur l’entablement, ces figures et cette niche surmontée à son tour de statues ? Pourquoi ces immenses colonnes ciselées et chargées d’ornemens comme des supports d’autel ? Je reconnais bien là les mains et l’esprit des artisans qui travaillèrent au Dôme de Milan ou à la Chartreuse de Pavie...

Mais ne faisons pas comme Taine et donnons ces dernières heures au lac, A la fin de mars dernier, revenant de Tolède et des âpres plateaux de Castille, j’éprouvai une telle allégresse physique en arrivant sur ces bords que jamais ils ne m’avaient