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n’en avoir jamais respiré d’autre. Ah ! comme nous devrions, chaque soir, rentrer en nous-même et savourer nos joies avant le temps où nous ne les aurons plus ! Comme il serait sage d’avoir à marquer d’un caillou le jour écoulé, pour nous obliger de compter les heures où la vie nous fut douce et bonne !…

Orta est délicieusement située au pied d’une sorte de presqu’île montueuse qui ne laisse à sa base, au bord du lac, qu’un peu de place pour les maisons. La ville n’est en somme qu’une longue rue parallèle au rivage avec, au milieu, une piazzetta ombragée qu’orne un minuscule municipe. Les versans de la colline sont occupés par de riches villas entourées des végétations magnifiques qu’on trouve dans tous les coins abrités des lacs italiens. Les rhododendrons et les azalées, d’une vigueur inaccoutumée, doivent être, au printemps, de merveilleux bouquets. des fleurs aux pétales d’ivoire luisent encore dans le feuillage verni des magnoliers. Malgré trois mois de sécheresse, les arbres sont restés très verts ; les lauriers-roses surtout, amis des étés chauds, étalent leur somptueuse floraison. L’olea fragrans commence à embaumer les jardins. Sur le bord de la route, des figuiers répandent leur odeur un peu âpre ; entre leurs larges feuilles, on aperçoit l’eau étincelante et la petite île San Giulio qui vibre et sourit dans l’éclatante lumière…

En quelques minutes, une barque y conduit. À mesure que Ion approche, l’enchantement augmente. Terrasses et jardins semblent suspendus au-dessus du lac où se reflète, à une grande profondeur, le campanile et les hautes murailles du séminaire. Les bosquets de verdure qui encadrent les maisons donnent de la gaîté à cet îlot qui est le chef-lieu d’une commune dont dépendent plusieurs villages des rives occidentale et méridionale. Comme il renferme la mairie, l’église et le cimetière, les cortèges de baptême, de mariage et d’enterrement y viennent en barque, comme à Venise. Le terrain est si mesuré que les constructions s’entassent les unes sur les autres et qu’il n’y a nulle place perdue. Une seule rue très étroite, un chemin plutôt entre deux murailles, fait le tour de l’île. L’ensemble est des plus pittoresques. Si Orta, un jour, doit être défigurée, voilà un coin qui, je crois, de longtemps ne, pourra point changer d’aspect.

La basilique de San Giulio est une très intéressante église dont la fondation remonterait, suivant la tradition locale, au IVe siècle. Plusieurs de ses parties, — colonnes, chapiteaux,