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mentalité chinoise, de comprendre l’héroïsme d’une lutte sans espoir, la grandeur de la tin d’un Charles Ier ou d’un Louis XVI, il croyait remplir tous ses devoirs en faisant garantir par la République l’existence, la sécurité, la fortune de son souverain. D’autre part, il s’efforçait par tous les moyens de montrer à l’Impératrice douairière que l’abdication de l’Empereur, seule, rendrait la paix au pays ; les dernières troupes qu’il concentrait autour de Pékin, pour protéger le gouvernement, étaient plus dévouées à Yuan-Chi-Kaï qu’à la Cour.

Malgré un apparent acharnement à chicaner sur les conditions offertes par le premier ministre, l’entente était faite dès le début de février : l’Empereur abdiquerait avant la réunion de l’Assemblée nationale ; il aurait une liste civile d’environ 10 millions de francs, les honneurs dus aux souverains étrangers et pourrait résider à Pékin ; il conserverait ses prérogatives religieuses et le droit de conférer la noblesse aux Mandchous ; les apanages des princes seraient respectés. En échange, le ministère promulguait, le 11 février, trois édits impériaux qui semblent consacrer la ruine de la dynastie des Tsings. L’Empereur y donne pleins pouvoirs à Yuan-Chi-Kaï pour la formation d’un gouvernement provisoire qui établira, de concert avec Sun-Yuât-Sên et ses amis, le nouveau régime de la Chine ; il fait appel à la concorde entre les races de l’Empire et déclare qu’il renonce à tout pouvoir politique pour mettre fin à la guerre qui imposait tant de malheurs aux populations[1].

Peut-être, le gouvernement impérial avait-il compté jusqu’au dernier moment sur l’intervention et l’appui de l’étranger. Le Japon par intérêt politique, l’Allemagne pour monnayer la reconnaissance du régime secouru, auraient volontiers offert leurs bons offices ; mais les autres puissances avaient des intérêts trop différens pour accepter de tenter une action commune. La Russie espérait trouver dans une Mongolie anarchique des compensations à ses déboires de Mandchourie ; l’Angleterre ne pouvait oublier l’inviolable asile offert par Hongkong aux Républicains ; les Etats-Unis se devaient de témoigner au moins une impassible neutralité à ceux qui les invoquaient comme

  1. Les agences télégraphiques faisaient connaître, le 15 février, que Yuan-Chi-Kaï était proclamé à l’unanimité, par l’Assemblée nationale réunie à Nankin, président provisoire de la République chinoise. Ce choix, qu’approuvait Sun-Yuat-Sên, ne modifie pas les conclusions de notre article.