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qualités d’organisateur devaient être impuissans. L’incurie ou la peur paralysaient les représentans du pouvoir dans les dernières provinces fidèles ; la trahison s’introduisait avec les ministres dans les conseils où se discutait le sort de la dynastie ; des vice-rois se ralliaient sans pudeur aux rebelles pour conserver, dans l’organisation administrative des territoires de la jeune République, les places que leur avait confiées le Régent, et le plénipotentiaire impérial, envoyé au Congrès de la Paix, se ménageait par son adhésion prévoyante la reconnaissance des gouvernans républicains.

L’impassibilité de la capitale déconcertait quiconque n’avait pas étudié, dans l’âme du peuple chinois, la passivité apparente des bourgeois et du paysan. Quand le télégraphe annonce à l’Europe qu’une province entière se rallie à la République, il ne faut pas en conclure que la population est consciente de l’événement, et surtout de ses résultats. Comme ailleurs, ce sont les ardens, les actifs, qui parlent pour leurs compatriotes et ceux-ci, dans leur amour invétéré de la stabilité, laissent dire sans protester. Dans nos pays occidentaux, où l’éducation politique est le résultat d’une préparation séculaire et de plusieurs révolutions, les contribuables tranquilles, qui sont en majorité, savent que les charges publiques ne seront pas supprimées par un changement de régime, que l’impôt subsistera toujours, et qu’il y aura toujours des juges, des gendarmes et des lois. La paix intérieure, seule, importe pour la bonne marche des affaires et la sécurité du lendemain ; un gouvernement stable, seul, est capable de la garantir. Ainsi, la masse populaire est, par principe, pour le gouvernement établi ; et la foule qui travaille acclame toujours les triomphateurs, au lendemain d’une révolution. Naïfs sont les dirigeans qui se prennent au mirage des votes, car la solidité d’un régime ne se mesure pas au chiffre électoral de ses partisans. Les coups d’Etat sont toujours possibles, et les scrutins qui les précèdent dévoilent rarement la désaffection générale qui les fait réussir. Mais, en Chine, les millions d’hommes qui pataugent dans les rizières, qui cheminent courbés par les fardeaux sur les étroits sentiers, qui produisent, vendent, spéculent dans les échoppes ou les grands magasins, ignorent tout de la politique, de la Constitution, des devoirs qui les attendent, des droits qu’on leur promet. Si l’on excepte les minorités organisées dont il a été parlé au début de